Écrit juste après La Docte Ignorance (1440), Les Conjectures est destiné à approfondir l’intuition centrale du philosophe mosellan : la docte ignorance est l’attitude par laquelle l’homme devient conscient des limites de son savoir, en particulier pour appréhender l’infini et Dieu. Cependant, loin de conclure au scepticisme, le Cusain estime que l’homme peut toujours s’approcher de la précision sans toutefois atteindre l’exactitude. Les Conjectures est un traité de la méthode pour pratiquer l’art de cette approche.

Le terme de conjecture est déjà très riche à l’époque. J-M Counet compte pas moins de huit nuances de signification. On retiendra que c’est un mouvement de l’esprit humain (mens) qui, partant d’un point de vue particulier, s’élance, se jette (conicere : jeter ensemble) vers son objet, l’atteint en partie, mais ne le saisit jamais totalement. Chaque conjecture est une création de l’esprit humain par laquelle celui-ci apprend également à se connaître, et à voir en Dieu son centre. La conjecture est un savoir approché qui appelle d’autres conjectures pour l’approfondir et la compléter. Ainsi, chaque nouveau livre du Cusain peut être considéré comme une conjecture, un nouvel essai, supérieur aux précédents, pour approcher la vérité sur le monde et sur Dieu.

Bien que l’exposé de Nicolas de Cues procède par exemples et figures symboliques et non par l’énoncé systématique de règles, il est assez aisé de reconstituer les principes de son art conjectural : comme il n’y a aucune proportion du fini à l’infini et que notre esprit est fini, le savoir humain ne parviendra jamais au maximum absolu des connaissances. Il n’y a pas d’exactitude dans les choses finies ; chaque esprit diffère des autres et, cependant, peut en partie concorder avec eux, si bien que l’esprit est en toutes choses et toutes les choses ont leur lieu dans l’esprit. En conséquence, tout en visant un objet précis, une conjecture porte toujours en même temps sur toute la réalité. Enfin, il faut distinguer quatre régions du savoir : le sensible, la raison, l’intelligence et Dieu. Cette hiérarchie d’origine platonicienne permet de distinguer des règles de logique différentes selon les objets abordés.

Traductions :

Les Conjectures (De Coniecturis), Texte traduit avec introduction et notes par Jean-Michel Counet, avec la collaboration de M. Lambert ( Les Classiques de l'humanisme), Paris, Les Belles, Lettres, 2011

Les Conjectures,  introduction, traduction et notes de Jocelyne Sfez, Beauchesne, coll. Le grenier à sel, Paris, 2011

étude :

Bocken, Inigo, L'art de la collection, introduction historico-éthique à l'herméneutique conjecturale de Nicolas de Cues, trad. de J-M Counet, Paris, Peeters-Vrin, coll "Philosophes médiévaux", 2007.

Sfez, Jocelyne, L'art des conjectures de Nicolas de Cues, Paris, Editions Beauchesne, 2012