En 1437 et 1438, N. de Cues est envoyé en mission en Crète pour réunir un synode entre l’église grecque et l’église de Rome. C’est pendant le voyage en bateau qu’il a l’idée de la coïncidence des opposés. En 1440, il écrit son principal ouvrage philosophique, De Docta Ignorantia.

Partie I : la vérité et Dieu

N. de Cues commence sa réflexion par une critique rigoureuse du savoir humain : la connaissance se réduit seulement à une approche de la vérité, à ce qu’il appelle des conjectures. La vérité est fondamentalement un but inaccessible ; notre esprit n’a pas de commune mesure avec elle ; mais la raison n’est pas la seule faculté de connaître de l’esprit humain : à côté de la raison, il y a l’intelligence. Dieu est le maximum absolu, l’être tel qu’il ne puisse y en avoir de plus grand. N. de Cues reprend la définition anselmienne de Dieu. Parmi les limites de la raison, il en est une, essentielle, qui tient à son principe de fonctionnement : le principe de non-contradiction. En effet, lorsqu’elle se met à enquêter sur des objets métaphysiques comme Dieu ou l’infini, la raison tombe sur des antinomies qui l’empêchent d’aller plus loin ; pour qu’il y ait progrès dans la connaissance métaphysique, il faut que la raison discursive s’efface et accepte une rupture de l’intelligence avec la logique. Etant avant toute chose, Dieu est avant tout logos, puisque c’est lui qui instaure le logos. Il échappe donc aux principes de la logique qui, s’ils sont contraignants pour la raison, ne le seront plus pour l’intelligence. A l’infini, en Dieu, les contraires sont réunis. C’est la coïncidence des opposés. C’est à cet endroit précis qu’interviennent les mathématiques : les mathématiques, sciences rigoureuses qu’on ne peut suspecter d’irrationalisme, connaissent elles-mêmes une transmutation de leurs lois lorsqu’on y aborde l’infini ; tant que l’on demeure dans le domaine des figures finies, les mathématiques sont rationnelles et s’appuient sur le principe de non-contradiction ; dès que l’on infinitise les figures, les mathématiques deviennent intellectuelles et sont amenées à la coïncidence des opposés. Puisque Dieu échappe à notre raison, comment va-t-on parler de lui ? Peut-on lui trouver un nom qui lui soit approprié ? N. de Cues reprend la tradition de la théologie négative qui ne parle de Dieu qu’en négations.

2 - Partie II : l’univers

La seconde partie est consacrée à la cosmologie. N. de Cues y expose des thèses très avancées pour son temps. Il affirme l’infinité de l’univers, non pas d’une infinité positive, mais d’une infinité indéterminée. Dieu, par sa puissance, pouvait faire l’univers plus grand qu’il n’est. Mais l’univers, par sa nature matérielle, ne pouvait être plus grand qu’il n’est. Dieu a donc fait l’univers aussi grand qu’il se pouvait. C’est un infini réduit. La pluralité des mondes est aussi clairement affirmée. L’univers peut contenir plusieurs mondes, et des mondes habités. N. de Cues est le premier à transférer l’ancienne formule de la sphère infinie de Dieu à l’univers : " Donc la machine du monde aura, pour ainsi dire, son centre partout et sa circonférence nulle part, parce que Dieu est sa circonférence et son centre, lui qui est partout et nulle part. " (II, 12) Il voit dans la terre une étoile noble. Contre les préjugés de son époque, il affirme que la terre n’est pas immobile, qu’elle n’est pas l’astre le plus vil, que sa couleur noire ne prouve pas sa bassesse.

3 - Partie III : l’humanité

Dans une espèce, aucun individu n’arrive à la perfection ; aucun homme ne l’emporte en tout sur tous les autres hommes. Aussi, si l’on pouvait donner un individu maximum d’une espèce quelconque, il serait la perfection de son espèce ; ce serait un être en qui coïncideraient le créateur et la créature, dans une union au-dessus de toute intelligence. La nature humaine ayant été placée au-dessus de toutes les oeuvres de Dieu et juste en-dessous des anges, enfermant en elle la nature intellectuelle et la nature sensible, résumant en elle l’univers comme en un microcosme, est toute désignée pour recevoir cet individu parfait. Cet être maximum sera le fils de Dieu, sans cesser d’être un homme : c’est Jésus-Christ, homme-Dieu, en qui se réalise la perfection divine et la perfection humaine. La foi est le commencement de l’intelligence ; elle dirige l’entendement. En effet, la raison ne peut nous faire comprendre les mystères de Dieu. Nous ne les comprenons que là où cesse la démonstration et où commence la foi. Nous vivons dans la docte ignorance ; personne ne peut se maintenir dans la foi sans l’union avec le Christ, et cette union, c’est l’Eglise : elle est le corps mystique du Christ, c’est-à-dire la réunion de tous les croyants.

 

De la docte Ignorance, trad. Moulinier, Paris, La Maisnie, 1930, rééd. 1979.

La docte ignorance, Introduction, traduction et notes par Hervé Pasqua, Paris, Bibliothèque Rivages, 2008.

 

De la docte ignorance, Traduction, introduction et notes par Jean-Claude Lagarrigue, Paris, Cerf, 2010.

 

La Docte Ignorance, traduction et présentation par Pierre Caye, David Larre, Pierre Magnard et Frédéric Vengeon, Paris, GF Flammarion, 2013