Maintenant que nous avons émis ces quelques réflexions
sur l'univers, montrant comment, dans la restriction, il existe en vue
d'une fin, nous allons, le plus brièvement possible, exposer ce que nous
concevons sur Jésus, afin de faire des recherches sur le maximum à la fois
absolu et restreint, Jésus-Christ, béni à jamais, d'une façon docte dans
l'ignorance, pour augmenter notre foi et notre perfection ; invoquons-le
lui-même afin qu'il soit une voie vers lui-même, qui est la vérité, par
laquelle nous serons vivifiés en lui et par lui qui est la vie éternelle,
par la foi aujourd'hui et, plus tard, en jouissant de lui.
§1 - LE MAXIMUM RESTREINT A CECI OU CELA, QUI EST LE
PLUS GRAND POSSIBLE, NE PEUT EXISTER SANS UN ABSOLU.
Dans le premier livre on montre que le maximum absolu,
un, incommunicable, immersible et irrestrictible à ceci ou cela, existe en
soi toujours le même éternellement, également, dans l'immobilité. Puis,
dans le second livre, la restriction de l'univers est rendue manifeste,
parce que le cecioucela n'existe que d'une façon
restreinte. C'est pourquoi l'unité du maximum est absolue en soi. L'unité
de l'univers est restreinte dans la pluralité. Or, le plusieurs,
dans lequel l'univers est restreint en acte, est absolument incompatible
avec l'égalité suprême ; en effet, alors, le plusieurs cesserait
d'être. Donc, il est nécessaire que toutes les choses diffèrent
mutuellement, ou en genre, espèce, nombre, ou en espèce et nombre, ou en
genre et nombre, pour que chacune subsiste dans son nombre, son poids et
sa mesure propres. C'est pourquoi les objets de l'univers se distinguent
les uns des autres par des degrés, pour que nul d'entre eux ne coïncide
avec un autre. Donc, aucun objet restreint ne peut participer précisément
du degré de restriction d'un autre : nécessairement n'importe lequel
dépasse n'importe quel autre, ou est dépassé par lui. Donc, tous les
objets restreints se trouvent entre le maximum et le minimum : que l'on
donne n'importe lequel et l'on pourra donner un degré de restriction plus
grand et plus petit, sauf que ce processus ne parvient pas en acte à
l'infini, parce qu'une infinité de degrés est impossible : c'est la même
chose de dire que les degrés sont infinis en acte et de dire qu'il n'en
existe aucun : nous l'avons affirmé à propos du nombre, dans le livre
premier. Donc, dans les objets restreints il ne peut y avoir de montée
jusqu'au maximum absolu ou de descente jusqu'au minimum absolu. Il suit
que la nature divine qui est maxima et absolue, ne peut pas comporter de
diminution pour arriver à être une nature finie et restreinte ; ainsi la
nature restreinte non plus ne peut pas voir diminuer sa restriction de
façon qu'elle devienne complètement absolue.
Donc tout objet restreint, puisqu'il pourrait être
moins et plus restreint n'atteint la limite ni de l'univers, ni du genre,
ni de l'espèce ; en effet une première restriction des genres, dans
l'univers, se fait par la pluralité des genres, qui doivent nécessairement
différer selon une gradation. Or, les genres ne subsistent qu'à l'état
restreint dans les espèces, et les espèces de même dans les individus,
qui, seuls (l), existent en acte. Donc de même qu'on ne peut pas avoir, à
cause de la nature des objets restreints, un individu qui ne soit pas
au-dessous de la limite de son espèce, ainsi aucun individu ne peut
atteindre la limite de son genre et de l'univers. Entre plusieurs
individus de même espèce il est impossible qu'il n'y ait pas une diversité
de degrés de perfection ; c'est pourquoi aucun, suivant une espèce donnée,
ne sera si parfait qu'on n'en puisse donner de plus parfait, et même on ne
peut pas en donner de si imparfait qu'on n'en puisse donner de plus
imparfait. Donc, aucun n'atteint la limite de son espèce.
Donc, il n'y a qu'une limite des espèces, comme des
genres, comme de l'univers, et elle est le centre, la circonférence et la
connexion de tout, et l'univers n'épuise pas la puissance, infinie et
maxima d'une façon absolue, de Dieu, de façon à être le maximum simple
limitant la puissance de Dieu. C'est pourquoi l'univers n'atteint pas la
limite de la maximité absolue, ni les genres la limite de l'univers, ni
les espèces la limite des genres, ni les individus la limite des espèces,
pour que toutes les choses soient ce qu'elles sont d'une meilleure manière
entre le maximum et le minimum, et Dieu est le principe, le moyen et la
fin de l'univers et des objets particuliers, pour que toutes les choses,
qu'elles montent, descendent ou tendent vers le milieu, arrivent à Dieu.
Or, la connexion de l'univers se fait par lui, pour que toutes les choses,
malgré leurs différences soient connexes aussi. C'est pourquoi entre les
genres, qui restreignent un univers un, il y a une telle connexion de
l'inférieur et du supérieur qu'ils coïncident dans leur milieu ; et, entre
les espèces diverses, il existe un tel ordre de combinaison, que la plus
haute espèce d'un genre coïncide avec la plus basse du genre immédiatement
supérieur, pour que l'univers soit un continu parfait.
Or, toute connexion est gradative et l'on ne parvient
pas à la connexion maxima parce qu'elle est Dieu. Donc, diverses espèces
d'un genre inférieur et d'un genre supérieur ne se lient pas en quelque
chose d'indivisible qui ne soit pas susceptible de plus et de moins, mais
en une troisième espèce, dont les individus diffèrent graduellement, de
telle sorte que nul d'entre eux ne participe également des deux premières
; il est composé d'elles, sans doute, mais il restreint dans son degré une
seule nature d'une espèce propre ; comparée à d'autres, cette nature
paraît composée de celle qui est au-dessous et de celle qui est au-dessus
d'elle, et elle ne l'est pas également car aucun composé ne peut être
formé de deux choses précisément égales, et, tombant au milieu entre les
espèces elles-mêmes, elle l'emporte nécessairement en suivant plutôt
l'une, la supérieure ou l'inférieure, comme on en apprend des exemples
dans les ouvrages des philosophes, à propos des huîtres, des coquillages
marins, etc.
Aucune espèce ne descend donc au point d'être minima
dans un genre quelconque, parce qu'avant d'arriver au minimum, elle se
change en une autre, avant d'être minima (2). Dans le genre de l'animalité
l'espèce humaine, tandis que, parmi les choses sensibles, elle s'efforce
d'atteindre un degré éminent, est enlevée dans un composé de la nature
intellectuelle ; cependant la partie inférieure l'emporte, et c'est
pourquoi l'homme est dit animal. Peut-être y a-t-il d'autres esprits ;
nous en parlerons dans le Deconjecturis ; et, si l'on dit
qu'ils sont du genre animal, à cause de leur nature sensible, ils sont
dits esprits plutôt qu'animaux, bien que les Platoniciens les croient des
animaux intellectuels. C'est pourquoi l'on conclut que l'espèce est à la
manière du nombre, qui progresse en ordre et qui est nécessairement fini ;
de la sorte l'ordre, l'harmonie et la proportion sont alliés à la
diversité, comme nous le montrons dans le livre premier, et il est
nécessaire que l'on arrive à l'espèce la plus basse du genre le plus bas,
qui n'a rien en acte de plus petit qu'elle, et à l'espèce la plus haute du
genre le plus haut, qui, de la même façon, n'a rien en acte de plus grand
et de plus haut qu'elle, espèces cependant telles qu'on peut en donner une
plus grande et une plus petite sans un processus infini ; de la sorte
encore, soit que nous comptions de bas en haut soit que nous comptions de
haut en bas, à partir de l'unité absolue, qui est Dieu, les espèces sont
comme les nombres qui, pour arriver à nous, partent du minimum, qui est le
maximum, et du maximum, auquel le minimum ne s'oppose pas ; de la sorte
aussi il n'est rien dans l'univers qui n'ait à se réjouir d'une
particularité qui ne se trouve en aucun autre objet, et, ainsi, aucun
objet ne l'emporte sur tous les autres en tout ou ne l'emporte également
sur plusieurs, de même qu'il ne peut jamais y avoir un objet égal en quoi
que ce soit à un autre ; même si à un moment il a été plus petit que lui
et plus grand que lui à un autre, il effectue ce passage d'une façon
particulière, de manière à ne jamais atteindre l'égalité précise, comme un
carré inscrit dans un cercle arrive à la grandeur du carré circonscrit, à
partir du carré plus petit que le cercle, jusqu'au carré plus grand que le
cercle, sans jamais parvenir à un carré égal à lui, et l'angle d'incidence
s'élève du droit inférieur au droit supérieur, sans le moyen de l'égalité
: de ceci on tirera encore plus de remarques dans le De
conjecturis.
Les principes d'individualisation ne peuvent se
rencontrer en aucun individu, comme en un autre, dans une proportion si
harmonieuse qu'un objet quelconque soit un par lui-même et parfait de la
façon qu'il peut. Sans doute dans n'importe quelle espèce, l'espèce
humaine par exemple, on peut, à un moment donné, trouver des individus
plus parfaits et plus éminents que d'autres, de façon certaine, notamment
Salomon l'emporte par sa sagesse, Absalon par sa beauté, Samson par sa
force, et ceux qui ont vécu plus que les autres dans la vie
intellectuelle, ont mérité d'être honorés plus que les autres. Cependant
la diversité des opinions, due à la diversité des religions, des sectes et
des pays, rend divers les jugements comparatifs, ici vous louerez un fait,
là vous blâmerez le même, de plus bien des gens sont inconnus de nous,
dispersés qu'ils sont sur la terre, aussi ignorons-nous qui est plus
éminent que tous les autres hommes, puisque nous ne pouvons pas même
connaître parfaitement un seul de tous les hommes. Or, c'est Dieu qui a
fait cela pour que chacun fût satisfait en soi-même, bien qu'il admirât
d'autres hommes, et en sa propre patrie, pour que le sol natal lui parût
plus doux, et dans les coutumes de son royaume, dans sa langue, etc.,
aussi de voir exister l'unité et la paix sans haine, dans la plus grande
mesure du possible, alors qu'elle ne peut exister que pour ceux qui
règnent avec Celui qui est notre paix, au-dessus de tout ce que nous
sentons.
(1) Nous croyons pouvoir traduire ainsi, en nous
souvenant que nous n'avons pas affaire à un latin bien classique.
(2) Nous suivons B et C, faute de mieux.
§2 - LE MAXIMUM RESTREINT EST AUSSI ABSOLU,CRÉATEUR ET
CRÉATURE
On a presque assez montré que l'univers ne peut être
que d'une façon restreinte plusieurs choses existant ainsi en acte, parce
que nulle d'elles ne touche au maximum simple. J'ajouterai encore que si
l'on pouvait donner un maximum restreint à une espèce, existant en acte,
il serait en acte, suivant l'espèce de restriction donnée, tout ce qui
pourrait se trouver dans la puissance de ce genre ou de cette espèce. En
effet, le maximum absolu est tout le possible en acte d'une façon absolue
et, ici, il est le maximum infini absolu restreint au genre et à l'espèce
; de la même façon il est en acte la perfection possible selon une
restriction donnée ; or, comme dans celle-ci on ne peut rien donner de
plus grand, l'infini encercle tout ce qui est dans la nature de la
restriction donnée. Et, comme le minimum coïncide avec le maximum absolu,
ainsi le même à l'état restreint coïncide avec le maximum restreint. Nous
en avons un exemple très clair dans la ligne maxima, qui ne subit aucune
opposition et qui est toutes les figures et la mesure adéquate de toutes,
avec qui coïncide le point : nous l'avons montré dans le premier livre.
C'est pourquoi si l'on pouvait donner un individu maximum d'une espèce
quelconque, il serait nécessaire qu'il fût la plénitude de ce genre et de
cette espèce, en quelque sorte la vie, la forme, la raison et la vérité
dans la plénitude de perfection de tout ce qui serait possible dans
l'espèce elle-même. Un tel maximum restreint placé au-dessus de la nature
de toute restriction, en serait le terme final, en enfermerait en lui la
perfection, serait dans une égalité parfaite avec n'importe quel objet
donné, au-dessus de toute proportion, ne serait plus grand qu'aucun et
plus petit qu'aucun, car il enfermerait dans sa plénitude les perfections
de tous.
Il est donc manifeste que le maximum restreint lui-même
ne peut pas subsister comme pur restreint, selon ce que nous avons montré
dans les pages qui précèdent immédiatement, parce que nul restreint ne
peut atteindre la plénitude de perfection dans le genre de perfection de
la restriction ; même un tel être, comme restreint, serait également Dieu,
qui est infiniment absolu, mais il serait nécessairement un maximum
restreint, c'est-à-dire Dieu et créature, absolu et restreint d'une
restriction qui ne pourrait subsister en soi qu'en subsistant dans la
maximité absolue. En effet, il n'y a qu'une maximité, comme nous le
montrons dans le livre premier, et c'est par elle que le restreint peut
être dit maximum ; si la puissance maxima unissait à elle le restreint
lui-même de telle façon qu'il ne pût pas lui être uni davantage, les
natures étant respectées, de sorte que lui-même fût Dieu et tout, sa
nature de restriction lui étant conservée, selon laquelle il est la
plénitude d'espèce restreinte et créée en vue de l'union hypostatique,
cette union admirable dépasserait tout ce que nous avons d'intelligence ;
en effet si on la concevait comme des choses diverses qui s'unissent, ce
serait une erreur. La maximité absolue en effet n'est pas autre et diverse
puisqu'elle est tout. Si on avait la conception de deux choses d'abord
séparées, puis réunies, erreur ; en effet, la divinité ne se conduit pas
différemment d'abord et ensuite ; elle n'est pas ceci plutôt que cela ; et
le restreint lui-même avant l'union n'a pas pu être ceci ou cela, comme
une personne individuelle subsistant en soi, ni comme des parties
s'associent dans un tout, car Dieu ne peut pas être une partie. Qui donc
concevrait une union aussi admirable ? Elle n'est pas non plus comme
l'union de la forme avec la matière ; car Dieu, étant absolu, ne peut pas
se mêler à la matière, il n'est pas une forme. Assurément celle-ci serait
plus grande que toutes les unions intelligibles : le restreint, puisqu'il
serait maximum, ne subsisterait que dans la maximité absolue sans rien lui
ajouter, puisqu'elle est maximité absolue, et sans passer dans sa nature,
puisqu'il est restreint. Donc le restreint subsisterait dans l'absolu
d'une façon telle que si nous le concevions comme étant Dieu lui-même,
nous nous tromperions, car le restreint ne change pas de nature, si nous
l'imaginions comme étant cette nature même nous irions à une déception,
car la maximité absolue, qui est Dieu, n'a que faire d'une nature ; si
nous pensions à un être composé des deux, nous ferions erreur, car il n'y
a pas de composition possible de Dieu et de la créature, du restreint et
de l'absolu maximum. Donc il faut concevoir, dans notre esprit un tel être
comme étant Dieu de telle façon qu'il soit aussi créature, créature de
telle façon qu'il soit aussi créateur, créateur et créature sans
confusion, ni composition. Qui peut s'élever assez haut pour concevoir la
diversité dans l'unité et l'unité dans la diversité ? Cette union serait
donc au-dessus de toute intelligence.
§ 3 - C'EST SEULEMENT DANS LA NATURE DE L'HUMANITÉ QU'UN
TEL MAXIMUM EST POSSIBLE
Par suite à ce qui précède on pourra rechercher
facilement de quelle nature devrait être le maximum restreint lui-même. Un
tel maximum est nécessairement un, comme la maximité absolue est unité
absolue, et, en même temps, restreint à ceci ou cela. Or, il est
manifeste, d'abord, que l'ordre des choses demande nécessairement que
certaines soient d'une nature inférieure en comparaison d'autres, comme
celles qui n'ont ni vie ni intelligence, que certaines soient d'une nature
supérieure, celles qui comprennent, et que certaines soient
intermédiaires. Si donc la maximité absolue est de la façon la plus
universelle l'entité de toutes choses, et non pas de l'une plutôt que
d'une autre, il est clair que cet être peut mieux s'associer au maximum,
qui est plus commun à l'universalité des êtres. En effet, si l'on
considère la nature des choses inférieures et si l'un des êtres de ce
genre s'élève à la maximité, il sera Dieu et lui-même, comme on en a un
exemple dans la ligne maxima ; en effet parce qu'elle-même est infinie par
l'infinité absolue et maxima par la maximité, celle à qui s'unit la ligne
maxima sera nécessairement Dieu par la maximité et restera ligne par la
restriction, et, ainsi, sera en acte tout ce qui peut venir de la ligne.
Or, la ligne ne contient ni la vie, ni l'intelligence ; comment donc la
ligne pourra-t-elle être mise au degré maximum lui-même si elle n'atteint
pas la plénitude des natures ? En effet le maximum pourrait alors être
plus grand et il n'aurait pas toutes les perfections. Il faut raisonner de
la même manière au sujet de la nature suprême, car elle n'embrasse pas la
nature inférieure sinon en ce sens qu'il y a plutôt union que séparation
de l'inférieur et du supérieur. Or, au maximum, avec qui coïncide le
minimum, il conviendra de n'embrasser une chose qu'à condition de n'en pas
abandonner une autre, mais de tout embrasser à la fois. C'est pourquoi la
nature intermédiaire, qui est le moyen de connexion de l'inférieur et du
supérieur, est, seule, celle qui peut être élevée au maximum, d'une façon
qui convient, par la puissance du maximum infini, Dieu ; en effet, comme
elle enferme en elle toutes les natures, comme le suprême enferme celle de
l'inférieur, et l'infime celle du supérieur, si elle-même avec tout ce
qu'elle est s'élève jamais à l'union avec la maximité, il est certain que
toutes les natures et l'univers entier seront parvenus en elle dans toute
la mesure du possible au degré le plus élevé.
Or, la nature humaine est celle qui a été placée
au-dessus de toutes les œuvres de Dieu et peu au-dessous des anges, elle
qui enferme en elle la nature intellectuelle et la nature sensible et qui
resserre en elle l'univers : elle est un microcosme, ou petit monde, comme
l'appelaient les anciens avec juste raison. Elle est celle qui, élevée à
l'union avec la maximité, serait la plénitude de toutes les perfections
universelles et particulières, de sorte que, dans l'humanité, tout fût
élevé au degré suprême. Or, l'humanité n'existe que restreinte dans ceci
ou dans cela. C'est pourquoi il ne serait pas possible que plus d'un homme
véritable pût s'élever à l'union avec la maximité, et celui-là, sans aucun
doute, serait homme ainsi que Dieu et Dieu ainsi qu'il serait homme, la
perfection de l'univers, occupant en tout le premier rang ; en lui les
natures minima, maxima et moyenne unies à la maximité absolue,
coïncideraient de manière qu'il fût la perfection de toutes, et toutes,
comme étant restreintes, se reposeraient en lui comme dans leur perfection
; « sa mesure serait celle de l'homme et de l'ange », comme dit Jean dans
l’Apocalypse, et des choses particulières ; en effet il serait
l'entité universelle restreinte des créatures particulières, grâce à son
union avec l'entité absolue, qui est l'entité absolue de tout l'univers,
celui par qui toutes choses recevraient le commencement et la fin de leur
restriction ; et par lui, qui, maximum restreint, dépend du maximum
absolu, tout entrerait dans l'être de la restriction et rentrerait dans
l'absolu par le moyen du même, en tant qu'il serait le principe de
l'émanation et la fin de la réduction. Or, Dieu, comme il est l'égalité
d'être tout, est créateur de l'univers, alors que celui-ci a été créé pour
lui. C'est donc à l'égalité suprême et maxima d'être d'une façon absolue
toutes les choses, que s'unirait la nature de l'humanité elle-même ; car
Dieu, par l'humanité qu'il prendrait, serait ainsi toutes les choses
restreintes dans l'humanité elle-même, de même qu'il est, absolument,
l'égal de tout être. Donc, comme cet homme subsisterait, grâce à son
union, dans l'égalité d'être maxima, il serait le fils de Dieu, comme le
Verbe, en qui tout a été fait, ou l'égalité d'être elle-même, qui est
appelée « fils de Dieu » comme on l'a montré dans les chapitres
précédents, et, cependant, il ne cesserait pas d'être le fils de l'homme,
de même qu'il ne cesserait pas d'être homme, comme on le dira plus bas.
Et, comme cela ne répugne pas au Dieu de toute bonté et de toute
perfection, parce qu'il peut faire cela sans varier, sans être diminué ou
amoindri, mais que cela convient plutôt à son immense bonté, pour que
l'univers ait été créé par lui et pour lui dans l'ordre convenable, de la
façon la meilleure et la plus parfaite, comme d'autre part, hors de cette
voie, les choses ne pourraient pas être plus parfaites, personne ne
pourra, sans nier Dieu ou sa bonté infinie, ne pas reconnaître, en raison,
toutes ces choses. En effet, il a rejeté bien loin toute haine, celui qui
est suprêmement bon, celui qui, dans la réalisation de son œuvre, ne peut
pas se trouver en défaut ; mais, de même qu'il est lui-même maximum, ainsi
son œuvre, autant que faire se peut, parvient au maximum. Or, la puissance
maxima n'a de limite qu'en elle-même, parce qu'il n'y a rien en dehors
d'elle et qu'elle est infinie. Donc elle n'a de limite dans aucune
créature, sans que, en lui donnant quelque chose, la puissance infinie
puisse la faire meilleure et plus parfaite. Mais si un homme est élevé à
l'unité avec la puissance elle-même, de telle sorte que l'homme ne soit
pas une créature qui subsiste en soi, mais en unité avec la puissance
infinie, cette puissance n'a pas son terme dans la créature mais en
elle-même. Or, c'est bien là l'opération la plus parfaite de la
toute-puissance de Dieu, infinie et sans limite, dans laquelle il ne peut
pas se trouver en défaut, autrement il ne serait ni créateur, ni créature.
En effet comment la créature serait-elle d'une façon
restreinte de par l'être divin absolu, si la restriction ne pouvait pas
s'unir à lui ? Par elle toutes les choses, comme elles sont de par celui
qui est d'une façon absolue, existeraient à l'état restreint, et
elles-mêmes, comme elles sont à l'état restreint, seraient de par celui à
qui la restriction est unie au plus haut point ; ainsi, d'abord, il y
aurait le Dieu créateur ; secondement le Dieu homme, qui aurait assumé
dans son unité à lui d'une façon suprême l'humanité créée, qui est, pour
ainsi dire, la restriction universelle de toutes les choses, unie d'une
manière hypostatique et personnelle à l'égalité d'être tout, de sorte
qu'elle soit, grâce au Dieu infiniment absolu et par la médiation de la
restriction universelle, qui est l'humanité ; en troisième lieu toute
chose entrerait dans l'être restreint afin de pouvoir être ce qu'elle est
dans un ordre et d'une manière meilleurs. Mais il ne faut pas considérer
temporellement cet ordre, comme si Dieu avait, dans le temps, précédé le
premier-né de la créature, ou si le premier-né Dieu et homme avait, dans
le temps, précédé le monde, mais il faut le considérer en nature et en
ordre de perfection au-dessus de tous les temps, et de la sorte celui-ci,
alors qu'il existe en Dieu au-dessus du temps et avant toutes choses dans
la plénitude du temps, apparaîtrait au monde au bout de longues périodes.
§4 - CE MAXIMUM EST JÉSUS, L'ÊTRE BÉNI, L'HOMME-DIEU
Notre argumentation telle que nous venons de la
présenter nous a conduits à une certitude désormais exempte de doute, et
nous permet, sans aucune hésitation, d'une façon parfaitement fondée, de
tenir nos prémices pour bien établies. Poursuivons donc, et nous dirons :
la plénitude du temps est passée, et Jésus [dont le nom est] béni à
jamais, est le premier-né de toute créature.
Car, d'après les œuvres qu'il a lui-même accomplies
pendant son existence humaine avec un pouvoir plus qu'humain et proprement
divin ; d'après les affirmations qu'il a données lui-même sur son propre
compte, et qui ont été reconnues exactes en tous points ; d'après le
témoignage, maintenu jusqu'au martyre, de ceux qui l'ont approché, nous
pouvons, avec une confiance inébranlable, appuyée depuis longtemps de
preuves en nombre inexprimable, affirmer avec fondement qu'il est celui
que toute créature a, dès le commencement, attendu dans l'avenir, et qui,
par la voix des prophètes, avait annoncé au monde sa venue. Il est venu en
effet ; il a tout accompli. Par un acte de sa volonté, il a rendu tous les
hommes à la santé, il leur a ouvert tous les trésors mystérieux et cachés
de sa sagesse, comme celui dont le pouvoir s'étend sur toutes choses,
effaçant les péchés comme Dieu, ressuscitant les morts, transmuant
l'essence des choses, commandant aux esprits, à la mer et aux vents,
marchant sur les eaux, établissant une loi dont la plénitude est le
complément de toutes les lois. En lui, selon le témoignage de saint Paul,
cet apôtre unique de la vérité, qui reçut dans un ravissement la
révélation d'en haut, nous avons la souveraine perfection, la rédemption,
la rémission des péchés ; c'est lui qui est « l'image du Dieu invisible,
le premier-né de toute la création ; car c'est en lui qu'ont été créées
toutes choses dans les cieux et sur la terre, les visibles et les
invisibles, soit les trônes, soit les dominations, soit les autorités,
soit les puissances ; tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant
toutes choses et toutes choses subsistent en lui. C'est lui aussi qui est
le chef du corps de l'Église. Il est le commencement, le premier-né
d'entre les morts, afin qu'en toutes choses il tienne le premier rang. Car
il a plu à Dieu de faire habiter en lui tout sa plénitude, et de
réconcilier par lui toutes choses avec lui-même ».
Ces témoignages, et bien d'autres qui nous viennent des
Saints, établissent qu'il est à la fois Dieu et homme, et qu'en lui
l'humanité dans son essence s'est unie à l'essence de la divinité, par
l'intermédiaire du Verbe, au point que ce ne fut pas en lui-même, mais
dans le Verbe qu'il a son existence ; attendu que l'humanité à son plus
haut degré et dans toute sa plénitude ne peut se réaliser autrement que
dans la divine personne du Fils.
Et pour comprendre, par delà toute conception
intellectuelle telle que la nôtre, comme dans la docte ignorance, cette
personne qui a uni l'homme à soi, plaçons-nous à un point de vue plus
élevé, et considérons dans notre entendement que Dieu est par toutes
choses en tout, et que tout par toutes choses est en Dieu, comme nous
l'avons montré plus haut ; puis, comme ces propositions doivent être
considérées copulativement, que Dieu est en tout dans la mesure où tout
est en Dieu ; et comme l'existence divine est en soi la plus haute égalité
et simplicité. Dieu, s'il est en tout, n'y est point suivant des degrés
comme s'il se communiquait graduellement et partiellement.
Mais le tout ne peut exister sans une diversité de
degrés. C'est pourquoi il existe en Dieu conformément à sa nature, avec
une diversité de degrés. Maintenant, comme Dieu est dans le tout dans la
mesure où le tout est en Dieu, il est clair que Dieu, sans son égalité
d'être tout sans changer de nature, est en union avec la plus grande
humanité de Jésus. Car l'homme maximum n'y peut être qu'au degré maximum ;
il en est ainsi de Jésus, qui possède l'égalité d'être tout, et du Fils,
êtres divins, qui constituent la personne intermédiaire ; en elle sont le
Père éternel et le Saint-Esprit, et tout est en elle comme dans le Verbe,
et aussi toute créature qui possède l'humanité suprême et parfaite,
impliquant toutes les possibilités de création, au point que [Jésus] est
la plénitude absolue qui habite en lui. Une comparaison va également nous
conduire comme par la main à la même conclusion : la connaissance sensible
est une connaissance restreinte, car la sensation n'atteint que le
particulier. La connaissance intellectuelle est universelle, parce que,
comparée à la connaissance sensible, elle existe absolument et dégagée de
la restriction particulière. Mais la sensation est diversement restreinte
suivant divers degrés, restrictions d'où naissent les diverses espèces
d'êtres vivants, suivant le degré de noblesse et de perfection ; et
quoique la sensation ne s'élève pas au degré simplement maximum, comme
nous l'avons montré plus haut, cependant, dans cette espèce qui est la
plus haute en acte dans le genre de l'Animalité, l'espèce humaine, la
sensation a produit un animal tel que, tout animal qu'il est, il est aussi
entendement. L'homme est en effet entendement personnel puisque la
restriction sensible repose, tout en lui étant subordonnée, sur la nature
intellectuelle, celle-ci étant une certaine manière d'être, divine,
séparée, abstraite, et la nature sensible demeurant temporelle et
corruptible conformément à son essence. Quelque éloignée que soit la
comparaison, c'est ainsi qu'il faut considérer Jésus ; l'humanité repose
hypostatiquement sur sa divinité, puisqu'elle ne pourrait autrement être
maxima dans sa plénitude.
Car l'entendement de Jésus, qui est parfait, existant
pleinement en acte, ne peut reposer hypostatiquement, d'une façon
personnelle, que sur l'entendement divin, qui seul est tout en acte. En
effet, l'entendement de tous les hommes peut être toutes choses, passant
par degrés de la puissance à l'acte, si bien que plus il est grand en
acte, plus petit en est la puissance. Or, l'entendement maximum, étant le
terme suprême de la puissance de toute nature intellectuelle, ne peut
exister pleinement en acte que s'il n'est entendement que dans la mesure
où il est également Dieu, qui est toutes choses en tout ; la nature
humaine est le polygone inscrit dans un cercle, et le cercle la nature
divine ; si le polygone doit être aussi grand qu'il peut l'être, il
n'existerait plus par lui-même avec ses angles définis, mais dans la
figure du cercle, et ainsi il n'aurait pas de figure propre pour exister,
de figure que l'on pût séparer, même par la pensée, de la figure éternelle
du cercle.
La maximité de la perfection de la nature humaine est
atteinte dans les choses essentielles et substantielles, donc en ce qui
concerne l'entendement, dont tout ce qui relève du corps est l'esclave. Et
par suite l'homme parfait au maximum ne doit pas s'élever dans les choses
accidentelles, sinon en celles qui regardent l'entendement. On ne peut
demander à un géant ou à un nain que l'un ait la taille, la couleur, la
forme, etc., de l'autre. On ne peut exiger qu'une chose, c'est que le
corps évite assez les extrêmes pour être un instrument parfaitement propre
de la nature intellectuelle, à laquelle il doit obéir et se soumettre sans
conteste, sans murmure, sans fatigue.
Notre Jésus, dans lequel tous les trésors de la science
de la sagesse même pendant son séjour dans le monde, furent recelés, comme
une lumière dans les ténèbres, eut, croyons-nous (d'après la tradition des
saints témoins de sa vie), un corps parfait et absolument apte à cette fin
de la nature intellectuelle portée à son plus haut degré.
§5 - LE CHRIST, CONÇU DU SAINT-ESPRIT, EST NÉ DE LA
VIERGE MARIE
II faut examiner plus longuement comment l'humanité
parfaite, soumise à ce qui la dépasse, quand elle réalise dans le
restreint son plus haut point de perfection, ne dépouille pas complètement
l'aspect de cette nature. Le semblable est engendré par le semblable, et
par suite, conformément aux rapports naturels, l'être engendré procède de
celui qui l'a engendré. Mais comme le terme n'a pas de terme, il n'y a ni
limitation ni proportion. Par suite, l'homme maximum ne peut être engendré
par des moyens naturels ; cependant l'espèce dont sort la perfection
suprême ne peut complètement être privée de commencement. D'une part,
donc, c'est conformément aux lois de la nature humaine qu'il fait son
entrée dans le monde, parce qu'il est homme ; de l'autre, parce qu'il est
le suprême à son principe, immédiatement uni au principe, il est le
principe même, dont il procède immédiatement, en tant que créant ou
engendrant, en tant que Père, et le principe humain en tant que passif,
offrant une matière malléable. C'est pourquoi il est né d'une mère, sans
semence virile. Toute l'opération procède de l'esprit et d'un certain
amour qui unit l'actif au passif, comme on le trouve démontré quelque part
dans les pages qui précèdent. Par suite, l'opération maxima, qui surpasse
la proportion de toute nature, et par laquelle le créateur s'unit à la
créature, procédant de l'amour maximum qui puisse unir doit naître
nécessairement, sans doute possible, du Saint-Esprit, qui est pur amour.
Grâce à l'esprit seul, sans le secours d'un agent s'exerçant au-dessous
des limites de l'espèce restreinte, la mère a pu concevoir le fils de Dieu
le père. Si bien que, de même que Dieu le père a créé toutes choses par
son esprit, choses qui ne provenaient pas d'un donné que Dieu aurait fait
passer à l'existence, ainsi, à un degré supérieur encore, c'est à l'aide
de ce même très Saint-Esprit qu'il opéra, quand son activité produisit son
œuvre la plus parfaite. Un exemple instruira notre ignorance. Quand un
maître très éminent veut exposer à ses élèves la pensée verbale qu'il a
formée dans son esprit, afin qu'ils fassent comme leur nourriture
spirituelle de la vérité qu'il a conçue et qu'il leur dévoile, il
s'emploie à revêtir d'un son la pensée traduite en mots, parce qu'il ne
peut la communiquer à ses élèves, si elle ne revêt une figure sensible.
Mais cela ne peut s'accomplir sans le souffle que la nature a donné au
maître qui, de l'air qu'il a aspiré dans sa poitrine, forme une image
vocale adaptée à sa pensée verbale, à laquelle il unit si intimement ses
mots eux-mêmes, que la voix elle-même n'a d'existence que dans le mot. Et
c'est ainsi, par l'intermédiaire de la voix, que les auditeurs saisissent
le mot. Cette comparaison, quelque éloignée qu'elle soit sur ce qui peut
être compris de nous, nous aide un peu à méditer.
Le Père éternel, dans son immense bonté, voulant étaler
à nos yeux les richesses de sa gloire pour la plénitude de la science et
de la sagesse, a revêtu le Verbe éternel, son fils, qui est la plénitude
de tout ; compatissant à nos faiblesses, car nous ne pouvions le saisir
que dans une forme sensible et qui nous ressemblât, il l'a manifesté à nos
regards en se conformant à nos capacités, il l'a revêtu d'une nature
humaine, par l'intermédiaire du Saint-Esprit, qui lui est consubstantiel.
Et cet esprit, comme fait la voix de l'air inspiré, a formé, de la pureté
et de la fécondité d'un sang virginal, un corps vivant, lui donnant en
outre la raison, pour que l'homme fût le verbe de Dieu le père, et l'a
intérieurement si unifié, qu'il fut le centre de la substance de la nature
humaine. Et tout cela ne s'est pas produit d'une façon linéaire, comme
notre entendement l'exprime, dans le temps, mais par une action
instantanée, par delà le temps, en vertu d'une volonté conforme à une
puissance infinie.
Mais cette mère, si riche de vertu, qui a fourni la
matière, a, personne n'en doit douter, surpassé toutes les vierges par la
perfection de sa vertu, et a été particulièrement bénie entre toutes les
femmes fécondes. Elle qui était prédestinée de toute éternité à cet
enfantement virginal si extraordinaire, unique, devait nécessairement être
exempte de tout ce qui pouvait s'opposer à la pureté ou à l'unité
puissante d'un fruit si supérieur. Si celle qui avait été élue n'avait pas
été vierge, comment eût-elle été capable d'un enfantement virginal sans
semence masculine ? Si elle n'avait pas été particulièrement sainte et
bénie du Seigneur, comment serait-elle devenue le Sanctuaire où le
Saint-Esprit pût former le corps du fils de Dieu ? Si elle n'était pas
demeurée vierge après l'enfantement, elle n'eût pas consacré à cet
enfantement unique entre tous le point central de sa fécondité maternelle,
dans la souveraine perfection de sa pureté. Son action eût été partagée,
diminuée, et indigne de ce fils unique et suprême. Si donc la très sainte
Vierge s'est tout entière offerte à Dieu auquel, par l'opération du
Saint-Esprit, elle a aussi consacré toute la nature profonde et sa
fécondité, elle est demeurée sans tache, elle a gardé sa virginité avant,
pendant, après l'enfantement, demeurée pure en dépit des lois de toute
génération commune.
C'est donc d'un père éternel et d'une mère mortelle, de
la glorieuse vierge Marie, qu'est né Jésus-Christ l'homme-Dieu, d'un père
qui est le maximum et la plénitude absolue, d'une mère dans la plénitude
de sa virginale fécondité, remplie de la bénédiction suprême, dans la
plénitude du temps. Car d'une mère vierge n'a pu naître qu'un homme
mortel, et d'un père qui était Dieu qu'un être éternel, mais la naissance
dans le temps a requis dans le temps la plénitude de la perfection, comme
dans la mère la plénitude de la fécondité.
Quand vint donc la plénitude du temps, s'il était
astreint à naître dans le temps, il naquit dans un temps et un espace
parfaitement aptes à sa mission, quoique cachés à toutes les créatures.
Car la plénitude souveraine ne peut pas être rapprochée de l'expérience
quotidienne. Par suite, il n'y eut pas d'indice qui permît à une raison de
la reconnaître, bien qu'on ait transmis certains signes obscurs, émanés
d'une ténébreuse inspiration prophétique, voilés de comparaisons humaines,
et auxquels les sages auraient pu prévoir rationnellement l'incarnation du
Verbe dans la plénitude des temps. Mais la détermination du lieu précis,
du temps ou du mode de l'opération, seul la connut le Père éternel qui
disposa les choses, en sorte que, tandis que le silence couvrait le monde,
au cours de la nuit, le Fils descendit des hauteurs du ciel dans un sein
virginal, et, à l'époque prescrite et convenable, sous les traits d'un
esclave, se révélât au monde.
§6 - LE MYSTÈRE DE LA MORT DE JÉSUS-CHRIST
Une légère digression est nécessaire à notre dessein,
pour la claire intelligence du mystère de la croix. Il n'est pas douteux
que l'homme est formé d'une sensibilité et d'un entendement, unis par une
raison qui leur sert d'intermédiaire. Dans l'ordre des choses, la
sensibilité est subordonnée à la raison, qui est à son tour subordonnée à
l'entendement. L'entendement n'appartient pas au temps et au monde, dont
il est absolument indépendant. La sensibilité appartient au monde, soumise
au temps et au mouvement. La raison est comme à l'horizon, en ce qui
concerne l'entendement ; comme sous les yeux, en ce qui regarde la
sensibilité : en elle coïncident les choses qui sont au-dessous et
au-dessus du temps. La sensibilité est incapable des choses
supertemporelles et spirituelles. L'animal, donc, ne perçoit pas ce qui
est en Dieu, car Dieu est esprit et plus encore, et pour cela, la
connaissance sensible est plongée dans les ténèbres de l'ignorance des
choses éternelles ; elle se meut selon la chair vers les désirs de la
chair en vertu de sa puissance concupiscible, et elle est incapable de
repousser ces désirs en vertu de sa puissance irascible. Mais la raison
qui possède de sa nature un pouvoir éminent par sa participation à la
nature de l'entendement, enferme en elle certaines lois grâce auxquelles
elle règle en directrice les passions mêmes du désir, et les ramène à la
mesure, de crainte que l'homme, plaçant sa fin dans les choses sensibles,
ne se prive ainsi du désir spirituel de l'entendement.
La plus haute de ces lois commande de ne pas faire aux
autres ce qu'on ne voudrait pas qu'on vous fît, et de préférer les choses
éternelles aux choses temporelles, les choses pures et saintes aux choses
passagères et impures. A cette œuvre coopèrent les lois que de très saints
législateurs ont tirées de la raison même, suivant la diversité des temps
et des lieux, comme moyen de salut pour la raison des pécheurs.
L'entendement, étendant son vol, voit que, même si la sensibilité se
soumettait en toutes choses à la raison et refusait d'obéir aux passions
qui lui sont congénitales, l'homme ne pourrait pourtant pas parvenir par
lui-même à la fin de ses affections intellectuelles et éternelles. Car
l'homme est né de la semence d'Adam dans les voluptés de la chair, acte
dans lequel l'animalité, conformément aux nécessités de la propagation de
l'espèce, l'emporte sur la spiritualité. Aussi sa nature par elle-même,
plongée par les racines de ses origines dans les délices de la chair,
grâce auxquels l'homme naît de son père et vient à l'existence, demeure
radicalement impuissante à transcender les choses temporelles pour
embrasser le spirituel. C'est pourquoi, si le poids des plaisirs de la
chair séduit la raison et l'entendement, au point qu'ils s'accordent à ne
pas résister à ces mouvements, il est clair que l'homme ainsi séduit et
détourné de Dieu est entièrement privé de la jouissance du souverain bien,
qui pour l'entendement est dans les choses supérieures et éternelles. Si,
au contraire, la raison domine la sensibilité, il faut encore que
l'entendement domine la raison, afin que l'homme, par delà la raison,
grâce à la foi, s'attache au Médiateur, et qu'ainsi Dieu puisse l'associer
à sa gloire.
Personne ne fut jamais par lui-même en mesure de
pouvoir s'élever au-dessus de lui-même et de sa nature propre soumise, de
par ses origines, aux péchés du désir charnel et monter, bien au-dessus de
sa naissance, vers les choses éternelles et célestes, sinon celui qui
descendit du ciel Jésus-Christ. C'est lui aussi qui s'éleva par sa vertu
propre en qui la nature humaine, née, non point de la volonté de la chair
mais de Dieu, ne trouva pas d'obstacle à ce qu'il retournât dans toute sa
puissance, vers Dieu le père.
C'est donc dans le Christ que la nature humaine a été
par son union [avec Dieu] élevée à sa puissance suprême et soustraite au
poids des désirs temporels qui l'alourdissaient. D'autre part, le Seigneur
Christ a voulu se charger de tous les crimes de la nature humaine, qui
nous attirent à la terre, et les mortifier profondément dans son corps
d'homme, non point à cause de lui, car il n'a point commis le péché, mais
à cause de nous, et les effacer en les mortifiant, afin que tous les
hommes qui partagent sa propre humanité trouvassent en lui-même le pardon
de tous leurs péchés. Volontaire et parfaitement innocente, pleinement
ignominieuse et cruelle, la mort de l'homme Christ sur la croix a marqué
l'extinction de tous les désirs charnels de la nature humaine, leur
satisfaction et leur pardon. Tout ce qui, d'une façon bien humaine, peut
se produire contre la charité que l'on doit au prochain, trouve
abondamment sa satisfaction dans la plénitude de la charité du Christ, qui
s'est livré lui-même pour le salut de ses ennemis.
L'Humanité en Jésus-Christ a donc racheté toutes les
imperfections de tous les hommes. Car comme cette humanité est maxima,
elle embrasse toute l'extension de l'espèce, au point que l'existence de
tel ou tel homme est indifférente, parce que le Christ lui est uni par des
liens plus forts que le père ou l'ami le plus intime. Telle est la
puissance de la maximité de sa nature humaine, que, quel que soit l'homme
qu'il se soit attaché par les liens de la foi, le Christ est cet homme
même, grâce à la perfection de cette union, sans nuire à l'indépendance de
l'une ou l'autre partie. Ainsi se vérifie ce qu'il a dit lui-même : « Ce
que vous avez fait à l'un des plus petits des miens, c'est à moi que vous
l'avez fait » ; d'où il suit, par conversion, que tout ce que Jésus a
mérité par sa passion, ce sont eux qui l'ont mérité, qui ne font qu'un
avec lui, sans préjudice de degrés dans ce mérite, selon le degré d'union
de chacun avec lui, grâce à la foi qui naît de la charité. Par suite,
c'est en lui que les fidèles sont circoncis, baptisés, c'est en lui qu'ils
sont morts, en lui qu'ils sont rendus à la vie par la résurrection, en lui
qu'ils sont unis à Dieu et glorifiés.
Par suite, ce n'est pas de nous, mais du Christ que
procède notre justification. Comme il est la plénitude absolue, c'est en
lui que nous atteignons toutes choses, si nous le possédons lui-même. Et
comme nous pouvons l'atteindre en cette vie par la foi, nous ne pourrons
être justifiés que par la foi, comme nous le montrerons plus explicitement
plus loin. Voilà le mystère ineffable de la croix et de notre rédemption,
par lequel, bien au delà de ce que nous avons traité, le Christ montre
comment la vérité, la justice, les vertus divines doivent être préférées à
la vie temporelle, et les choses éternelles aux périssables, et que
l'homme parfait doit faire preuve de la plus grande constance et valeur,
de charité et d'humanité, comme la mort du Christ sur la croix montre que
Jésus, l'homme maximum posséda au maximum ces vertus et toutes les autres.
Donc, plus un homme s'élève dans la pratique des vertus immortelles, plus
il est semblable au Christ ; car le maximum et le minimum coïncident,
l'humiliation maxima avec l'exaltation, la mort la plus honteuse du plus
vertueux des hommes avec la vie glorieuse, et ainsi du reste, comme nous
le montrent la vie du Christ, sa passion et sa crucifixion.
§7 - LE MYSTÈRE DE LA RÉSURRECTION
Le Christ, soumis en tant qu'homme à la passion et à la
mort, ne pouvait parvenir à la gloire de son père, qui est l'immortalité
même, parce que la vie absolue, que si l'être mortel revêtait
l'immortalité. La chose était impossible en deçà de la mort ; car comment
l'être mortel pouvait-il revêtir l'immortalité s'il n'était dépouillé de
sa mortalité ? Comment en eût-il été délivré, s'il n'avait acquitté à la
mort ce qu'il lui devait ? C'est pourquoi la parole de vérité elle-même
dit que ceux-là « sont sots et ont l'esprit traînant », qui ne comprennent
pas « qu'il fallait que le Christ mourût, et entrât ainsi dans sa gloire
». Puisque nous avons montré plus haut que le Christ était mort pour nous,
et de la mort la plus cruelle, il faut dire en conséquence qu'il ne
convenait pas que la nature humaine fût portée au temple de l'immortalité
autrement que par sa victoire sur la mort. Aussi a-t-il subi la mort, afin
qu'avec lui ressuscitât à la vie éternelle la nature humaine, et que son
corps d'animal et d'être mortel devînt spirituel et impérissable.
Il n'eût pu être un homme véritable s'il n'eût été
mortel, ni élever à l'immortalité la nature mortelle, s'il n'avait, par sa
mort, dépouillé sa mortalité. Écoutez quelles belles instructions nous
donne la parole de vérité elle-même quand elle nous dit : « Si le grain de
froment qui tombe sur le sol ne meurt pas, il demeure seul ; mais s'il
meurt, il porte beaucoup de fruits. » Si donc le Christ était toujours
demeuré mortel, même sans jamais mourir, comment eût-il, lui, l'homme
mortel, conféré à la nature humaine l'immortalité ? Et si lui-même n'était
pas mort, il fût resté seul mortel sans mourir. Il fallait donc qu'il se
libérât par la mort de la possibilité où il était de mourir, si cette mort
devait porter beaucoup de fruits, afin qu'ainsi élevé il entraînât tout à
soi, puisque sa puissance n'est pas tant sur le monde et la terre
périssables que dans le ciel impérissable.
Nous pourrons le comprendre dans une certaine mesure si
nous avons à l'esprit ce que nous avons souvent dit. Nous avons montré
dans ce qui précède que Jésus, l'homme maximum, n'a pas en soi, séparé de
Dieu, la possibilité de durer, parce qu'il est le maximum. C'est pourquoi
l'on admet l'échange des attributs, afin qu'humanité et divinité
coïncident, parce que cette humanité, inséparable de la divinité en raison
de leur suprême union, ne peut, revêtue qu'elle est pour ainsi dire et
élevée à elle par la divinité, subsiste séparément d'une existence
personnelle. L'homme, au contraire, est l'union d'une âme et d'un corps,
dont la séparation constitue la mort. Puisque donc la personne divine
suppose l'humanité maxima, il n'était pas possible que l'âme ou le corps,
même après la séparation locale, fût au moment de la mort séparé de la
personne divine, sans laquelle cet homme-là lui-même ne pouvait subsister.
Le Christ ne mourut donc point comme si sa personne avait eu quelque
imperfection, mais, abstraction faite de sa division locale, il demeura,
au point de vue du centre sur lequel reposait son humanité,
hypostatiquement uni à la divinité ; et c'est conformément à sa nature
inférieure, qui a pu, conformément à la vérité de sa nature, souffrir la
division de l'âme et du corps, que cette division s'est faite dans le
temps et dans l'espace, au point qu'à l'heure de la mort l'âme et le corps
n'étaient pas dans le même espace et dans le même temps. C'est pourquoi,
pour le corps et pour l'âme, la corruptibilité ne fut pas possible ; car
ils étaient unis à l'éternité, mais la naissance dans le temps fut soumise
à la mort et à la séparation temporelles. Ainsi, quand la composition
ayant accompli son cercle fut retournée à la dissolution, et qu'en outre
le corps fut dégagé de ses mouvements dans le temps, l'humanité dans son
essence véritable, qui est au-dessus du temps, et demeure incorruptible
par son union avec la divinité, comme le réclamait la vérité de son
essence, unit le véritable corps à l'âme véritable, afin qu'ainsi, l'image
trouble de l'homme véritable s'étant dissipée, l'homme véritable, tel
qu'il s'est montré dans le temps, ressuscitât dégagé de toute passion
temporelle ; afin que le même Jésus, supérieur à tous les mouvements dans
le temps, ressuscitât véritablement pour ne plus mourir par une nouvelle
union de l'âme et du corps supérieur à tous les mouvements dans le temps.
Sans cette union, l'essence vraie de l'humanité, véritablement
incorruptible et sans confusion de nature, n'aurait pu s'unir
hypostatiquement à la personne divine.
Aide-toi, dans la pauvreté de ton esprit et ton
ignorance, de la parabole du grain de froment du Christ, dans laquelle le
grain se corrompt en tant qu'unité, tandis que son essence spécifique
demeure intacte et permet à la nature de faire lever une foule de grains.
Si le grain était au maximum et absolument parfait, et qu'il venait mourir
dans une terre excellente et féconde, ce n'est pas cent ou mille fruits
qu'il rapporterait, mais autant que la nature de son espèce en
embrasserait dans sa possibilité.
C'est là ce que dit la parole de vérité : «il porte
beaucoup de fruits ». Car la multitude est une finité sans nombre.
Comprends donc bien que l'humanité de Jésus, dans la mesure où elle est
considérée relativement à l'homme Christ restreint dans la mesure où elle
est comprise en même temps comme unie à la divinité, à laquelle elle est
unie, est pleinement absolue si l'on considère le Christ comme un homme
véritable ; et elle est restreinte, s'il est homme par son caractère
d'humanité. Et ainsi l'humanité de Jésus est comme un intermédiaire entre
le pur absolu et le pur restreint. C'est pourquoi elle n'a pas été
corruptible, si ce n'est en partie, et a été simplement incorruptible.
Elle fut donc corruptible selon la temporalité à laquelle elle a été
bornée, et selon son indépendance et sa supériorité à l'égard du temps, et
son union à la divinité, incorruptible.
La vérité, sous son aspect restreint dans le temps, est
comme le signe et le symbole de la vérité supertemporelle ; ainsi la
vérité du corps, temporellement restreint, est comme l'ombre de la vérité
du corps supertemporel. De même aussi la vérité de l'âme restreinte est
comme l'ombre de l'âme dégagée du temps. Elle apparaît en effet plutôt
comme sensibilité ou raison qu'entendement tant qu'elle est dans le temps
où elle ne saisit rien sans images
;
élevée au-dessus du temps, elle est entendement libre et dégagée de
celles-ci. Et puisque cette humanité a indissolublement pris ses racines
dans l'incorruptibilité divine, à l'achèvement du cours temporel et
corruptible, la dissolution ne peut se produire, si ce n'est vers la
racine de l'incorruptibilité. C'est pourquoi, à la fin du cours temporel,
qui fut la mort, délivré de tout ce qui s'était ajouté dans le temps à la
vérité de la nature humaine, Jésus est ressuscité, non point dans un corps
pesant, corruptible, imparfait, soumis aux passions, etc., mais dans un
corps véritable, glorieux, impassible, actif et immortel, comme l'exigeait
une vérité libérée des conditions temporelles.
Et cette réunion était exigée nécessairement par la
vérité de l'union hypostatique de la nature humaine à la nature divine.
C'est pourquoi il fallait que Jésus, béni de Dieu, ressuscitât des morts,
comme il l'a déclaré lui- même : « II fallait que le Christ souffrît, et
que le troisième jour il ressuscitât des morts. »
§8 - LE CHRIST, PRÉMICES DE CEUX QUI DORMENT EST MONTÉ
AUX CIEUX
Ceci montré, il est facile de voir que le Christ est le
premier-né d'entre les morts. Car nul avant lui ne put ressusciter, parce
que la nature humaine n'était pas encore parvenue dans le temps à son
maximum, et n'avait pas connu, comme dans le Christ, l'union avec
l'incorruptibilité et l'immortalité. Tous étaient impuissants à cet égard,
jusqu'à ce que vînt celui qui dit : « J'ai le pouvoir de déposer ma
vie et de la reprendre ». C'est donc dans le Christ que la nature humaine
revêt l'immortalité, dans le Christ qui est les prémices de ceux qui
dorment dans la mort. Il n'y a qu'une humanité indivisible, une essence
spécifique de tous les hommes, grâce à laquelle tous les hommes
particuliers sont des hommes qui ne se distinguent que par le nombre, au
point que le Christ et tous les hommes possèdent la même humanité, bien
qu'il subsiste une différence numérale entre les individus particuliers.
D'où il est clair que l'humanité de tous les hommes qui, dans l'ordre du
temps, ont vécu avant ou après le Christ, ou vivront demain, a revêtu dans
le Christ l'immortalité. D'où l'on peut conclure : le Christ en tant
qu'homme est ressuscité ; par suite tous les hommes ressusciteront, au
delà de tout mouvement de corruptibilité temporelle, pour être à jamais
incorruptibles. Et quoiqu'une seule humanité soit commune à tous les
hommes, il y a cependant des principes d'individualisation qui la
restreignent à tel ou tel sujet, variés et divers. En Jésus-Christ seul
ils étaient à leur plus haut degré de perfection et de puissance, tout
proches de l'essence de l'humanité, qui avait été unie à la divinité,
grâce à la vertu de laquelle le Christ pouvait ressusciter de sa propre
vertu, vertu qui lui venait de la divinité. C'est pourquoi l'on dit que
Dieu l'a ressuscité des morts, alors qu'étant homme et Dieu tout à la
fois, il a ressuscité par sa propre vertu, et aucun des hommes autres que
lui, si ce n'est en la vertu du Christ, qui est Dieu, ne pourra, comme le
Christ, ressusciter.
C'est donc le Christ par lequel, conformément à la
nature de l'humanité, la nature humaine a contracté l'immortalité, et par
lequel nous ressusciterons aussi à sa ressemblance, par-dessus le temps,
quand le mouvement cessera pour nous qui sommes nés profondément soumis au
mouvement : cela sera à la fin des siècles. Mais le Christ qui, en tant
qu'issu d'une mère, est né temporellement, n'a pas attendu dans sa
résurrection l'écoulement complet du temps, parce que le temps n'embrasse
pas complètement sa naissance. Tu vois, si je ne m'abuse, qu'il n'y a
aucune religion parfaite, et conduisant les hommes à la fin qu'ils
souhaitent si vivement, la paix, qui ne conçoive le Christ comme un
médiateur et un sauveur, un Dieu et un homme, le chemin, la vie et la
vérité. Quel n'est pas l'illogisme des Saracéniens, qui regardent le
Christ comme l'homme maximum et parfait, affirment qu'il est né d'une
vierge et est monté vivant au ciel et nient sa divinité ! Ils sont
aveuglés assurément, parce qu'ils affirment une impossibilité. Un
entendement qui possède la vérité plus claire que le jour peut se rendre
compte, ne fût-ce que par de telles prémices, qu'aucun homme ne peut être
parfait en toutes choses et maximum, né, par delà les lois de la nature,
d'une vierge, qui ne soit Dieu en même temps. Ces [Saracéniens] sans
raison sont des persécuteurs de la croix, ignorent ses mystères, et n'ont
pas goûté le fruit divin de la rédemption ; et de par la loi de leur
Mahomet qui ne promet que la satisfaction des désirs de la volupté, que la
mort du Christ a éteints en nous, ils n'attendent point les choses que,
dans notre appréhension d'une gloire incorruptible, nous espérons jusqu'à
notre dernier souffle.
Les Juifs, comme les Saracéniens, professent également
que le Messie est l'homme maximum, parfait, et immortel, et nient sa
divinité, possédés du même aveuglement diabolique ; ils n'obtiendront pas
non plus, à l'inverse de nous, pauvres esclaves du Christ, la béatitude
suprême, la jouissance de Dieu, qu'ils n'espèrent point. Et ce que je
trouve de plus surprenant, c'est que Juifs et Saracéniens croient à une
résurrection générale dans l'avenir, et n'admettent pas qu'elle soit
possible par l'intermédiaire d'un homme qui est également un Dieu. Car,
bien que l'on puisse dire que, le mouvement de génération et de corruption
cessant, la perfection de l'univers serait impossible sans la
résurrection, parce que la nature humaine est une partie essentielle de
l'univers, sans laquelle il n'y aurait pas, non seulement de perfection
mais d'univers ; que, pour cette raison, il serait nécessaire, si le
mouvement venait à cesser quelque jour, que l'univers tout entier pérît ou
que les hommes ressuscitassent incorruptibles, eux dont la nature embrasse
tous les intermédiaires, au point qu'il ne serait pas nécessaire que les
animaux ressuscitassent, puisque l'homme est leur perfection même ; bien
que l'on puisse déclarer la résurrection nécessaire pour que l'homme tout
entier reçoive de la justice de Dieu la rétribution de ses mérites ;
cependant il faut ajouter à toutes ces raisons et avant elles qu'il faut
croire que le Christ est homme et Dieu, lui par qui seul la nature humaine
peut atteindre l'incorruptibilité.
Aveugles sont donc tous ceux qui croient à la
résurrection et ne reconnaissent pas le Christ pour intermédiaire de sa
possibilité ; car la croyance à la résurrection est l'affirmation de la
divinité et de l'humanité du Christ, de sa mort et de sa résurrection, lui
qui est le premier né d'entre les morts, selon nos prémices. Car il est
ressuscité pour entrer ainsi dans sa gloire par son ascension dans les
cieux. Ascension qu'il faut comprendre, je crois. Comme une ascension
au-dessus de tout mouvement de corruption et influence du ciel. Car bien
qu'il soit partout, de par sa divinité, son lieu propre est celui où il
n'y a ni changement, ni passion, ni tristesse, etc., choses qui sont les
accidents de la temporalité. Et ce lieu de bonheur et de paix éternels,
nous le plaçons au-dessus des cieux, quoiqu'il soit impossible de le
saisir, de le décrire ou de le définir. Le Christ est le centre et la
circonférence de la nature intellectuelle, et, comme l'entendement
embrasse tout, domine toutes choses. Cependant il se repose comme dans son
temple chez les Saints, dans les âmes raisonnables et les esprits
intelligents, qui sont les cieux révélateurs de sa gloire. C'est donc
ainsi que nous comprenons son ascension au-dessus de tout temps et de tout
espace jusqu'à une demeure impérissable, au-dessus de tout ce qui peut
s'exprimer, quand on dit qu'il s'est élevé au-dessus de tous les cieux
pour remplir toutes choses ; comme il est Dieu, il est toutes choses en
tout ; et il règne dans ces cieux de l'entendement, comme il est la vérité
même ; et il ne siège pas, dans l'ordre de l'espace, à la circonférence
plutôt qu'au centre, car il est le centre de tous les esprits doués de
raison, et leur vie. Et c'est pourquoi il affirme que le royaume des cieux
existe parmi les hommes, lui qui est la Source de la vie des âmes et leur
fin.
§ 9 - LE CHRIST JUGE DES VIVANTS ET DES MORTS
Quel juge est plus juste que celui qui est la justice
même ? Le Christ, en effet, tête et principe de toute créature
raisonnable, est la raison maxima en personne, d'où procède toute raison.
Or, la raison est la faculté de faire des jugements qui décident. D'où il
suit que c'est à juste titre qu'est juge des vivants et des morts celui
qui a pris avec toutes les créatures raisonnables la nature humaine douée
de raison, tout en restant Dieu, qui est le rémunérateur de tout. Le
Christ juge tout, au-dessus de tout temps, par lui-même et en lui-même,
parce qu'il enferme en lui toutes les créatures, en tant qu'homme maximum,
qui enveloppe tout. Parce qu'il est Dieu, il est en tant que tel la
lumière infinie dans laquelle il n'y a pas de ténèbres ; lumière qui
illumine tout, au point qu'à cette lumière tout devient manifeste à cette
lumière elle-même. Cette lumière intellectuelle infinie embrasse le
présent comme le passé, ce qui est vivant comme ce qui est mort, comme la
lumière physique est l'hypostase de toutes les couleurs. Mais le Christ
est comme un feu très pur, qui est inséparable de la lumière et ne
subsiste pas en soi, mais dans la lumière ; il est le feu de la vie
spirituelle de l'entendement, qui, consumant et recevant toutes choses en
soi, les éprouve et les juge, examinant tout, comme le jugement du feu
matériel. Tous les esprits raisonnables sont jugés dans le Christ, comme
sont jugées dans le feu les matières qui y sont sujettes, dont certaines,
quand on les y maintient, sont transformées à l'image du feu : ainsi, l'or
le meilleur et le plus pur est à ce point or et à ce point brûlé qu'on ne
voit pas plus d'or que de feu ; d'autres matières ne participent pas à ce
degré à l'intensité du feu, comme l'argent épuré, le bronze ou le fer.
Pourtant, tout semble transformé en feu, quoique chacun à un degré
différent qui lui est propre. Et ce jugement ne porte que sur le feu, non
sur les matières qui y sont sujettes, parce que, quelle que soit la
matière que l'on brûle et où qu'on la brûle, on ne remarque que ce feu
très ardent sans distinguer les matières qui brûlent ; ainsi quand nous
voyons de l'or, de l'argent ou du cuivre en fusion dans un feu très
violent, nous ne faisons pas la différence des métaux, quand ils ont pris
la forme du feu. Mais ce feu, s'il possédait l'entendement, connaîtrait le
degré de perfection de chacun, et la capacité de supporter un feu intense
apparaîtrait différente pour chacun, conformément aux degrés mêmes de
perfection.
Il y a des matières soumises au feu qui demeurent
indestructibles dans le feu, capables de lumière et de chaleur, et qui
peuvent, en raison de leur pureté, se transformer à l'image du feu ; et
cela plus ou moins suivant des degrés ; d'autres en revanche, en raison de
leur impureté, même si elles sont capables de chaleur, ne peuvent se
transformer en feu. Ainsi le Christ en tant que juge, conformément à un
jugement unique, parfaitement simple et indistinct, en un seul moment,
avec une parfaite équité dépourvue d'envie, selon un ordre naturel et non
temporel, communique la chaleur de la raison créée afin que, cette chaleur
reçue, il répande d'en haut la divine lumière de l'intelligence, afin que
Dieu soit tout en tout, et que toutes choses soient par lui, le médiateur,
en Dieu, et égales à lui-même, suivant les possibilités et les capacités
plus ou moins grandes de chacune. Mais le fait que certaines choses, par
leur plus grande unité et pureté, ne sont pas seulement sensibles à la
chaleur, mais aussi à la lumière, et que d'autres, l'étant à peine à la
chaleur, ne le sont point à la lumière, provient de la disposition
défavorable des sujets.
D'où, comme cette lumière infinie est l'éternité et la
vérité mêmes, il faut nécessairement que la créature douée de raison, qui
veut recevoir la lumière, se tourne vers les choses vraies et éternelles,
au-dessus de notre monde et de notre corruptibilité. Les choses du corps
et de l'esprit sont des contraires. Car la vertu végétative du corps
incorpore, par une transformation, la nourriture reçue du dehors à la
nature de l'être nourri. Et ce n'est pas l'animal qui est transformé en
pain, mais l'inverse. De son côté, l'esprit doué d'entendement, qui
s'exerce par-dessus le temps, comme à l'horizon de l'éternité, lorsqu'il
se tourne vers les choses éternelles, ne peut pas se les incorporer, parce
qu'elles sont éternelles et incorruptibles ; mais lui non plus, étant
incorruptible, ne peut s'incorporer à elles au point de cesser d'être une
substance intellectuelle ; mais il s'incorpore à elles au point d'être
formé à l'image de l'éternité ; avec des différences de degrés cependant ;
s'il se tourne vers elles avec plus de ferveur, sa perfection par les
choses éternelles est plus grande et plus profonde, et son être se cache
dans l'être éternel lui-même. Mais comme le Christ est immortel et vit
toujours, comme il est la vie et la vérité, quiconque se tourne vers lui
se tourne vers la vie et la vérité ; et plus il le fait avec ardeur, plus
il s'élève du monde et de la corruption à l'éternité, au point que sa vie
se dissimule dans le Christ. Car les vertus sont justice éternelle, qui
dure au siècle des siècles, la vie et la vérité.
Celui qui se tourne vers les vertus marche dans les
voies du Christ, qui sont celles de la pureté et de l'immortalité. Les
vraies vertus sont une illumination de Dieu. C'est pourquoi celui qui en
cette vie se convertit par le Christ, qui est la vertu, quand il sera
libéré de cette vie temporelle, se trouvera dans la pureté de l'esprit et
pourra connaître la joie de saisir Dieu.
Cette conversion de notre esprit se produit quand, avec
tout le pouvoir de son entendement, il se tourne par la foi, qu'il préfère
à tout, vers la vérité éternelle dans sa pureté, et choisit et aime cette
vérité comme seule digne d'amour. La conversion à la vérité, qui est le
Christ, avec une foi inébranlable, consiste à fuir ce monde et à le fouler
victorieusement aux pieds. Aimer le Christ d'un amour ardent, c'est tendre
vers lui d'un mouvement de l'esprit, parce qu'il n'est pas seulement digne
d'amour, mais la charité même. Car tandis que l'esprit tend, par les
degrés de l'amour, vers la charité elle-même, il pénètre plus profondément
dans la charité, non d'une façon temporelle, mais au-dessus du temps et de
tout mouvement terrestre. Donc, de même que tout être qui aime vit dans
l'objet de son amour, tous ceux qui aiment la vertu vivent dans le Christ.
Et de même que tout être qui aime, aime par son amour, tous ceux qui
aiment la vérité l'aiment par le Christ. D'où personne ne connaît la
vérité, s'il n'a en lui l'esprit du Christ. Et comme il est impossible
qu'un être qui aime soit sans amour, de même il est impossible de posséder
Dieu sans l'esprit du Christ, dans lequel seul nous pouvons adorer Dieu.
Parce qu'ils ne se sont pas convertis au Christ, les incrédules,
insensibles à la lumière qui glorifie, sont déjà condamnés aux ténèbres et
à l'ombre de la mort ; ils sont détournés de la vie, qui est le Christ,
dont la plénitude peut seule rassasier par leur union avec lui ceux qui
sont dans la gloire. Nous en reparlerons plus bas, au sujet de l'église,
en nous appuyant sur les mêmes bases, pour notre consolation.
§10 - LA SENTENCE DU JUGE
Aucun des mortels n'est manifestement en état de
comprendre ce jugement et la sentence de ce juge. Car, étant supérieur à
tout temps et à tout mode, ce jugement n'implique pas de discussion
comparative ou présomptive. Il est dégagé de la nécessité de s'exprimer
par des mots ou autres signes de ce genre, qui impliquent la durée. Mais,
de même que tout a été créé dans le verbe, comme il a dit et comme cela
s'est produit, c'est dans le verbe aussi, qu'on appelle également raison,
que toutes choses sont jugées. Et il n'y a pas d'intervalle entre la
sentence et l'exécution, mais les deux opérations se font en un instant ;
la résurrection et le fait d'atteindre le but dernier, celle-ci se faisant
de deux manières différentes : la glorification qui consiste à passer au
nombre des fils de Dieu, et la damnation ou exclusion de ceux qui se sont
détournés de Dieu, ne se distinguent par aucun intervalle de temps, fût-ce
indivisible.
La nature intellectuelle, qui domine le temps et n'est
pas sujette à la corruption temporelle, embrassant en elle, de par sa
nature même, les formes incorruptibles, comme, sans doute, les sciences
mathématiques, abstraites comme elle, et aussi les sciences naturelles,
que renferme la nature intellectuelle elle-même et qui peuvent se résoudre
en elle, qui sont pour nous le signe manifeste de son incorruptibilité,
parce qu'elle est le lieu incorruptible des choses incorruptibles, la
nature intellectuelle se meut d'un mouvement naturel vers la vérité la
plus abstraite, comme vers la fin de ses désirs et l'objet dernier de sa
plus parfaite délectation. Et comme cet objet est tout, puisque c'est
Dieu, l'entendement immortel et incorruptible est insatiable jusqu'à ce
qu'il l'atteigne, puisqu'il ne peut se satisfaire que d'un objet éternel.
Que si l'entendement, détaché de ce corps, dans lequel
il est soumis aux opinions qui lui viennent du temps, n'atteint pas la fin
qu'il souhaite, mais plutôt tombe dans l'ignorance en recherchant la
vérité ; quand, comme dans son ultime désir il ne désire rien d'autre que
de saisir la vérité, non point à travers des énigmes ou des symboles, mais
avec certitude et en face, il tombe, parce qu'il s'est détourné de la
vérité à l'heure de la séparation et s'est tourné vers la corruption, au
désir de la corruption, à l'incertitude et à la confusion du ténébreux
chaos de la pure possibilité, où il n'y a pas de certitude en acte, on dit
avec raison qu'il est déchu jusqu'à la mort intellectuelle. Car, pour
l'âme douée d'intelligence, l'intelligence est son être, et l'intelligence
de son désir, sa vie. Et de même que la vie éternelle consiste pour elle à
saisir l'objet dernier de son désir, l'immuable, l'éternel, de même la
mort éternelle consiste à être séparée de cette stabilité désirée pour
être précipitée dans le chaos même de la confusion, où elle est à sa
manière tourmentée par un feu perpétuel, que nous ne pouvons concevoir
autrement que comme le tourment de l'être qui est privé de la nourriture
et de la santé de la vie et, qui plus est, de l'espoir de les posséder
jamais, au point que, sans pouvoir s'éteindre et finir sa vie, il meurt
dans une agonie perpétuelle.
C'est une vie de souffrances qui dépassent tout ce
qu'on peut imaginer ; une vie qui est une mort ; une existence qui est un
néant ; une intelligence des choses qui est une ignorance. On a montré
dans ce qui précède, que la résurrection des hommes est supérieure à tout
mouvement, temps, quantité et autres choses soumises au temps ; que le
périssable devient impérissable, l'animal, être spirituel ; au point que
l'homme tout entier est entendement personnel, qui est esprit, et que le
corps est véritablement absorbé dans l'esprit, si bien que le corps
n'existe pas en soi, comme dans ses rapports qualitatifs et temporels,
mais rapporté à l'esprit, au contraire de ce qui se passe présentement
pour notre corps, où ce n'est point l'entendement, mais le corps que l'on
voit, et dans lequel l'entendement lui-même apparaît comme emprisonné.
Là-haut au contraire le corps est absorbé dans l'esprit, comme ici-bas
l'esprit dans le corps. Et tandis qu'ici-bas l'âme est alourdie par le
corps, là-haut le corps est allégé par l'esprit. Par suite, de même que
les joies spirituelles de la vie intellectuelle sont les plus grandes,
joies auxquelles le corps lui-même glorifié participe en esprit, de même
aux enfers les tristesses de la mort spirituelle sont les plus grandes
tristesses que connaît aussi en esprit le corps. Et puisque notre Dieu,
qui est saisi comme vie éternelle, n'est compréhensible que par delà tout
entendement, ces joies éternelles, qui dépassent tout entendement tel que
le nôtre, sont trop grandes pour qu'aucun signe puisse les communiquer.
Pareillement, les peines des damnés dépassent toutes les peines que l'on
puisse imaginer et décrire. C'est pourquoi, dans tous ces signes de joie,
de liesse et de gloire empruntés à l'harmonie musicale, que nos pères nous
ont transmis comme des signes connus de nous pour porter des jugements sur
la vie éternelle, certains de ces signes sensibles sont infiniment
éloignés de ces joies de l'intelligence qui échappent à toute imagination.
De même pour les peines de l'enfer, qui sont assimilées au feu de soufre,
de poix et autres engins de torture sensibles et qui ne peuvent être
comparés à ces souffrances du feu intellectuel, dont juge bon de nous
préserver Jésus-Christ, notre vie et notre salut, qui est béni pour tous
les siècles. Ainsi soit-il.
§ 11 - LES MYSTÈRES DE LA FOI
Nos ancêtres affirment d'une voix unanime que la foi
est le commencement de la connaissance intellectuelle. Dans tout domaine,
en effet, il faut supposer certaines choses comme principes premiers,
principes qui relèvent de la seule foi, et dont jaillit l'intelligence des
matières que l'on traite. Tout homme qui veut s'élever à la connaissance
doit nécessairement croire aux choses sans lesquelles il ne peut s'élever.
Comme le dit Esaü : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. » La
foi implique donc en elle tout ce qui est intelligible. L'intelligence, en
retour, est ce qu'implique la foi. L'entendement est donc dirigé par la
foi, et la foi est développée par l'entendement. Où il n'y a point de
saine foi, il n'y a donc point de véritable intelligence. On sait à quelle
conclusion conduisent l'erreur de principe et la fragilité des fondements.
Il n'y a pas de foi plus parfaite que la vérité elle-même, qui est Jésus.
Qui ne comprend pas que le don par excellence de Dieu, c'est la foi
parfaite ? L'apôtre Jean dit que la foi dans l'incarnation du Verbe de
Dieu nous conduit à la vérité, afin que nous devenions fils de Dieu, c'est
ce qu'il montre simplement dans son exorde ; puis il raconte de nombreuses
œuvres du Christ conformes à cette croyance que l'intelligence reçoit sa
lumière de la foi. Il en vient finalement à cette conclusion : « Ces
choses ont été écrites pour que vous croyiez que Jésus est le fils de
Dieu. »
La foi si douce dans le Christ, fermement soutenue dans
la simplicité de cœur, peut être graduellement étendue et développée
suivant la science que nous avons donnée de l'ignorance. Car les mystères
de Dieu les plus grands et les plus profonds, cachés à ceux qui se
promènent dans le monde, quelle que soit leur sagesse, ont été révélés aux
petits et aux humbles qui ont foi en Jésus, parce que Jésus est celui en
qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont renfermés, et
sans lequel nul ne peut rien. Car il est le Verbe et la puissance par
laquelle Dieu a créé les siècles mêmes, et qui seul a pouvoir sur toutes
les choses du ciel et de la terre, lui, l'être sublime entre tous.
Celui-ci, n'étant pas connaissable en ce monde, où la raison, l'opinion ou
la science nous conduisent par des symboles du connu à l'inconnu, ne peut
être saisi que là où cesse la démonstration et où commence la foi, par
laquelle nous sommes ravis dans la simplicité de notre cœur, au point
qu'au-dessus de toute raison et intelligence, dans le troisième ciel de
l'intellectualité la plus simple, nous le contemplions incorporellement
dans son corps, parce qu'en esprit, d'une façon étrangère au monde dans le
monde, mais célestement et incompréhensiblement, afin que nous nous
rendions compte aussi qu'il est incompréhensible en raison de son
excellence infinie.
C'est là cette docte ignorance, par laquelle saint Paul
lui-même s'éleva à l'idée que ce Christ, qu'il ne connut par le savoir que
quelque temps, il l'ignorait, quand il se haussa jusqu'à lui. Nous sommes
donc conduits, nous, fidèles du Christ, dans la docte ignorance, jusqu'à
cette montagne qu'est le Christ, que la nature de notre animalité nous
empêche d'atteindre, et qui est telle que, quand nous nous efforçons de
l'apercevoir avec l'œil de notre intelligence, nous sombrons dans le
brouillard, sachant seulement que ce brouillard nous cache la montagne,
que ceux-là seuls peuvent habiter qui ont la puissance de l'esprit. Si
nous nous approchons de cette montagne avec une plus grande fermeté dans
notre foi, sous sommes ravis aux yeux de ceux qui errent dans le monde des
sens, au point d'entendre intérieurement les voix, le tonnerre et les
signes terribles de la majesté de Dieu ; nous percevons facilement le
Seigneur lui-même, auquel obéissent toutes choses parvenant par degrés aux
traces impérissables de ses pas, comme à je ne sais quels caractères
divins ; et, entendant la voix, non des créatures mortelles, mais de Dieu
même en ses saints organes et dans les signes de ses Prophètes et de ses
Saints, nous les contemplons plus clairement, comme à travers le voile de
la raison. Puis les croyants, possédés d'un désir plus ardent, s'élevant
continuellement, sont ravis jusqu'à l'intellectualité dans sa simplicité,
passant, par-dessus toutes choses sensibles, comme du sommeil à la veille,
de l'ouïe à la vue, là où l'on voit de ses yeux ce qui ne peut être
révélé, parce qu'il n'y a pas d'oreille qui puisse les comprendre, pas de
voix qui puisse les enseigner. Car, si ce qui est révélé là devait être
exprimé, c'est l'inexprimable que l'on exprimerait et l'inaudible que l'on
entendrait, de même que c'est l'invisible que l'on voit là-bas. Jésus, en
effet, béni au siècle des siècles, fin de toute intellection, puisqu'il
est vérité ; fin de toute sensibilité, puisqu'il est vie ; fin en dernier
lieu de tout être, parce qu'il est l'être ; perfection de tout être créé
en tant que Dieu et homme, est inconcevablement entendu là-bas comme le
terme suprême de toute voix. C'est de lui que procède, à lui que retourne
toute voix ; tout ce qu'il y a de vrai dans la voix vient de lui. Toute
voix a pour fin l'édification, donc lui-même, qui est la sagesse même.
Tout ce qui a été écrit l'a été pour notre édification. La voix se
représente dans l'écriture, les cieux sont soutenus par le Verbe de Dieu.
Donc, toutes les choses créées sont le signe du Verbe de Dieu. Toute voix
corporelle est le signe du Verbe spirituel. La cause de tout verbe
spirituel corruptible est le Verbe incorruptible, la raison. Le Christ
incarne la raison de toutes les raisons, parce que le Verbe s'est fait
chair. Jésus est donc la fin de tout.
Telles sont les vérités qui se révèlent par degrés à
celui qui s'élève au Christ par la foi. Foi dont la divine efficacité ne
s'explique pas, car, si elle est grande, elle unit le croyant à Jésus au
point qu'il est élevé au-dessus de tout ce qui n'est pas en communion avec
Jésus. Le croyant, si sa foi est entière en la vertu de Jésus auquel il
est uni, a plein pouvoir sur la nature et le mouvement, il commande même
aux esprits malins, et opère des miracles non par lui-même, mais en Jésus
même et par lui, comme le montrent les actes des Saints.
Mais il faut que la foi parfaite en Jésus-Christ soit
parfaitement pure, aussi grande que possible, formée par la charité,
autant que faire se peut. Elle ne souffre aucun mélange, car elle est la
foi en la vérité la plus pure et puissante en toutes choses. Nous avons
dit très souvent dans ce qui précède que le maximum coïncide avec le
minimum. Il en va ainsi de la foi, qui ne peut être maxima dans son être
et son pouvoir chez le pèlerin qui ne la comprend pas en même temps, comme
Jésus. Pour le voyageur terrestre qui veut posséder la foi maxima telle
que Jésus l'a possédée en acte, il faut que cette foi s'élève à un tel
degré de rectitude indubitable que, même dans une foi minima, la certitude
soit entière et dépourvue de quelque hésitation que ce soit.
Telle est la toute-puissance de la foi qui est maxima
et minima en sorte qu'elle embrasse tout ce qui peut être cru dans celui
qui est la vérité. Et s'il arrive que la foi de l'un n'atteint pas le
degré de l'autre, parce que l'égalité n'est pas possible absolument, tout
comme une chose visible ne peut être vue également de plusieurs, il faut
cependant que chacun, autant qu'il est en lui, ait la foi maxima en acte.
Alors celui qui, en comparaison des autres obtiendrait de foi à peine gros
comme un grain de moutarde, posséderait une telle puissance que les
montagnes lui obéiraient, s'il leur commandait dans la puissance du Verbe
de Dieu avec lequel, autant qu'il est en lui, son union est maxima grâce à
la foi, à laquelle rien ne peut résister.
Quel n'est pas le pouvoir de l'esprit intelligent qui
demeure dans la vertu du Christ, s'il s'attache à elle par-dessus tout, au
point de ne vivre que par elle et comme en elle, par une union qui
sauvegarde son indépendance personnelle, comme s'il reposait
hypostatiquement sur elle ! Mais comme cela n'est possible que par la
conversion de l'entendement, auquel obéissent les sens, au Christ, grâce à
la foi maxima, il faut que celle-ci soit formée par la charité qui procure
l'union ; car la foi ne peut être maxima sans la charité. Car si tout être
vivant aime à vivre, et tout être intelligent à comprendre, comment
peut-on croire que Jésus soit la vie immortelle et la vérité infinie, si
on ne l'aime au maximum ? C'est par lui en effet que la vie est digne
qu'on l'aime, et si l'on croit fermement que Jésus est la vie éternelle,
on ne peut pas ne pas l'aimer. Car ce n'est pas une foi vivante, mais une
foi morte, une foi qui n'en est pas une, que la foi sans la charité.
La charité de son côté est la forme de la foi ; elle
lui donne son être véritable, que dis-je ? elle est le signe de la
constance de la foi. Si donc nous préférons le Christ à tout, si nous
tenons pour rien auprès de lui notre corps et notre vie, c'est le signe de
la foi maxima, et la foi ne peut être grande sans le saint espoir de jouir
de Jésus lui-même. Comment aurait-on une foi assurée, si l'on ne croyait
pas aux promesses du Christ ? Si l'on n'espérait pas la vie éternelle que
le Christ a promise à ses fidèles, comment croire au Christ, comment
croire qu'il est la vérité même ? Si l'on n'a pas foi en ces promesses,
comment celui qui n'espérerait pas l'immortalité choisirait de mourir pour
le Christ ? Et parce qu'il croit que le Christ n'abandonne pas ceux qui
espèrent en lui, mais leur donne la béatitude éternelle, le fidèle tient
pour un faible sacrifice de souffrir toutes choses pour le Christ en
échange d'une pareille récompense.
Grande est assurément la puissance de la foi. Elle fait
l'homme à l'image du Christ, au point qu'il abandonne les plaisirs
sensibles, se dépouille des contagions de la chair, marche dans les voies
du Dieu qu'il craint, suit avec joie les pas du Christ et accepte
volontairement la croix avec transports ; il vit dans la chair comme un
pur esprit ; ce monde, c'est pour lui mourir pour le Christ, en être
séparé, pourvu que ce soit avec le Christ, est sa vie. Quel n'est pas cet
esprit, que le Christ habite par la foi ! Quel don admirable de Dieu,
quand il nous a donné de pouvoir nous élever par la vertu de la foi dans
notre pèlerinage, dans notre frêle chair, jusqu'au pouvoir souverain sur
tout ce qui n'est pas le Christ et en union avec lui ! Que chacun, en
mortifiant par degrés sa chair, s'élève peu à peu par la foi jusqu'à
l'union avec le Christ, afin de s'absorber en lui par une union profonde,
autant que c'est possible dans cette vie. Là, passant par-dessus toutes
les choses visibles de ce monde, il atteint la complète perfection de sa
nature.
Voilà la nature accomplie que nous pourrons atteindre
dans le Christ par la mortification de la chair et du péché, transformés à
son image. Ce n'est point cette nature due à l'imagination des mages, qui
disent que l'homme s'élève par l'intermédiaire de la foi, à une certaine
nature par je ne sais quelles opérations d'esprit qui agissent
conjecturalement sur lui, au point que, par la vertu de ces esprits,
auxquels ils s'unissent par la foi, ils accomplissent de nombreux et rares
miracles dans le feu, l'eau, les sciences harmoniques, les transmutations
apparentes, la manifestation des forces occultes et autres choses
semblables. Il y là, manifestement, une erreur et un éloignement de la
vérité. Parce que ces magiciens sont liés par des pactes d'union avec les
esprits du mal, au point qu'ils montrent effectivement ce qu'ils croient
dans les actes de purification et d'adoration qui ne sont dus qu'à Dieu et
qu'ils adressent aux esprits, comme s'ils pouvaient remplir leurs désirs
et être évoqués, comme médiateurs, dans des prières pleines d'une
respectueuse vénération. Ils obtiennent parfois par leur foi les biens
périssables qu'ils demandent, par leur union avec l'esprit auquel, séparés
du Christ pour l'éternité, ils resteront attachés même dans les supplices.
Béni soit Dieu, qui par son Fils nous a rachetés des ténèbres d'une si
grande ignorance, afin que nous sachions que toutes choses sont fausses et
trompeuses qui sont obtenues par un autre médiateur que le Christ, qui est
la vérité avec une autre foi que la foi en Jésus. Car il n'y a qu'un seul
Seigneur, Jésus, dont la puissance s'étend sur toutes choses, qui nous
remplit de toute bénédiction et qui seul complète toutes nos imperfections
et y supplée.
§ 12 - L'ÉGLISE
Quoique l'on puisse comprendre ce qu'est l'église du
Christ d'après ce que nous avons dit, j'ajouterai quelques mots rapides
pour que rien ne manque à mon ouvrage.
Puisqu'il est nécessaire que la foi soit inégalement
répartie, à des degrés divers, parmi les hommes, et qu'elle en reçoive des
degrés de plus ou de moins, personne ne peut atteindre la foi maxima, la
plus grande puissance qui soit, non plus que la clarté maxima. Car la foi
maxima, la plus grande puissance qui soit, si un pèlerin de ce monde la
possédait, il faudrait qu'il fût capable lui-même de l'embrasser. Car le
maximum dans un genre quel qu'il soit, s'il en est le terme le plus élevé,
est aussi le début du genre supérieur. C'est pourquoi la foi maxima ne
peut exister simplement en aucun homme qui ne soit en même temps capable
de la comprendre. De même la charité ne peut être simplement maxima chez
celui qui aime s'il n'est en même temps aimé. C'est pourquoi ni la foi ni
la charité ne peuvent être simplement maxima chez un autre que
Jésus-Christ, l'homme aimant et le Dieu aimé. Mais dans les limites du
maximum toutes choses sont incluses, parce qu'il enveloppe tout. Par
suite, c'est dans la foi de Jésus-Christ qu'est incluse toute vraie foi,
dans la charité de Jésus-Christ qu'est incluse toute vraie charité, les
degrés restant cependant toujours distincts. Et parce que ces degrés
distincts sont au-dessous du maximum et au-dessus du minimum, nul ne peut,
même s'il a réellement, autant qu'il est en lui, la foi en Jésus-Christ,
atteindre la foi maxima du Christ, grâce à laquelle il saisirait le Christ
comme Dieu et homme. Et l'on ne peut aimer le Christ au point qu'on ne
puisse l'aimer davantage, parce que le Christ est amour et charité et
conséquemment digne d'être aimé infiniment. C'est pourquoi nul ne peut,
dans cette vie ou dans la vie future, aimer le Christ au point d'être
lui-même Christ et homme. Tous ceux qui, ou bien dans cette vie par la foi
et la charité, ou bien par leur compréhension et leur jouissance du Christ
dans une autre vie, sont unis au Christ (sans préjudice d'une différence
de degrés), ne sont pas unis à lui au point de ne pouvoir l'être davantage
(sans préjudice de cette différence de degrés) ; si bien que personne ne
peut se maintenir en soi et sans cette union, et que personne ne perd par
cette union son propre degré.
Cette union est l'église, ou réunion de beaucoup en un
seul, de même que beaucoup de corps sont réunis en un corps unique, chacun
à sa place propre ; l'un des membres n'est pas l'autre, et aucun d'eux
n'existe que dans le corps, par l'intermédiaire de celui auquel il est uni
; aucun d'eux ne peut avoir de vie et d'existence indépendantes du corps,
quoique dans le corps un membre ne soit pas tous les membres si ce n'est
par l'intermédiaire du corps. C'est pourquoi la vérité de notre foi, dans
notre pèlerinage en ce monde, ne peut subsister que dans l'esprit du
Christ sans préjudice du rang des croyants, si bien que la diversité se
fond dans l'harmonie dans le seul Jésus. Et quand nous nous détacherons de
l'église militante, à notre résurrection, nous ne pourrons ressusciter que
dans le Christ, afin qu'ainsi encore l'église triomphante soit une, chacun
demeurant à son rang. Et alors la vérité de notre chair n'existera pas en
soi, mais dans la vérité de la chair du Christ, la vérité de notre corps
n'existera que dans la vérité du corps du Christ, et la vérité de notre
esprit dans la vérité de l'esprit de Jésus-Christ, comme les sarments de
la vigne ; en sorte qu'il n'y a, par le Christ, qu'une seule humanité
parmi tous les hommes, un seul esprit, celui du Christ, dans tous les
esprits, si bien que chacun est en lui, comme il n'y a qu'un seul Christ
formé de la réunion de tous. Et alors celui qui reçoit en cette vie un
seul de tous ceux qui sont le Christ, reçoit le Christ, et ce que l'on
fait à un seul des plus petits des siens, c'est à lui qu'on le fait. Celui
qui blesse la main de Platon, blesse Platon, et celui qui blesse la plus
petite partie d'un homme blesse l'homme tout entier ; celui qui dans sa
patrie se réjouit du plus humble, se réjouit du Christ, et en tout homme
voit le Christ, et par lui. Dieu. C'est ainsi que notre Dieu, par son
Fils, est toutes choses en tout, et chacun est dans le Fils, et par lui
avec Dieu et toutes choses, si bien qu'il est plein de joie, sans jalousie
ni défaut.
Et puisque la foi peut constamment être augmentée en
nous, pendant notre pèlerinage terrestre, la charité elle aussi, quoique
chacun ne puisse réellement pas être à un degré tel qu'il ne puisse avec
ses propres forces s'élever à un plus haut, quand elle est à un degré, est
en puissance de s'élever à un autre, quoique la progression ne puisse
aller à l'infini. D'où il suit que nous devons travailler, par la grâce de
notre Seigneur Jésus-Christ, à porter notre possibilité à l'actualité,
afin d'aller ainsi de vertu en vertu, et de degré en degré, par lui qui
est la foi et la charité, sans lequel nous ne pouvons rien tirer de nous,
autant qu'il est possible ; mais tout ce que nous pouvons, c'est en lui
que nous le pouvons, lui qui est seul capable de combler nos
imperfections, afin que nous nous trouvions être un de ses membres pleins
de santé et de noblesse au jour de la résurrection. Et cette faveur de
grandir en foi et charité, c'est en croyant et aimant de toutes nos
forces, dans une prière assidue, que nous pouvons sans aucun doute
l'obtenir, nous approchant en confiance de son trône, car il est plein de
pieuse tendresse, et ne laisse personne avec un saint désir inassouvi.
Si tu médites ces choses, telles qu'elles sont, au plus
profond de ton esprit, tu seras inondé de je ne sais quelle ivresse
intellectuelle, tu sentiras, du plus profond de tes sens, comme dans une
fumée embaumée, l'inexprimable bonté de Dieu, qu'il fera passer en toi, et
dont tu pourras te rassasier quand sa gloire sera apparue ; tu en seras
rassasié, je le répète, sans en être fatigué ; car cette nourriture
immortelle est la vie même. Et de même que grandit continuellement le
désir de vivre, on a toujours faim de cette nourriture de vie, sans que
cette nourriture s'incorpore à la nature de celui qui s'en nourrit. Car
alors elle serait un mets rebutant qui alourdirait et ne pourrait donner
la vie éternelle, car elle recèlerait des défauts et deviendrait l'être
nourri.
Le désir de notre intelligence est de vivre selon
l'intelligence, c'est-à-dire d'entrer de plus en plus profondément, d'une
façon continue, dans la vie et dans la joie. Et comme la vie est infinie
nous serons constamment portés en elle dans le bonheur au gré de notre
désir. C'est pourquoi on est rassasié comme ceux qui ont soif et boivent à
la source de vie, et comme cette action de boire n'est pas transitoire,
comme elle est éternelle, ceux qui boivent sont toujours heureux, ils se
rassasient sans jamais cesser de boire ou s'en lasser. Béni soit Dieu qui
nous a donné un entendement qui ne se rassasie pas dans le temps, et dont
le désir illimité se saisit lui-même comme immortel et supérieur au temps,
du fait qu'il provient d'un désir insatiable dans le temps, et reconnaît
qu'il ne peut se rassasier de la vie intellectuelle qu'il désire, sinon
dans la jouissance du souverain bien qui ne fait jamais défaut, et dont la
jouissance ne passe pas, parce que l'appétit ne décroît pas avec la
satisfaction. Pour prendre un exemple emprunté au corps, c'est comme si un
homme affamé s'asseyait à la table d'un puissant monarque, où on lui
fournirait des mets au gré de son désir, au point qu'il n'en souhaiterait
pas d'autres, des mets capables par leur nature d'exciter l'appétit tout
en rassasiant ; si cette nourriture ne venait jamais à lui manquer, le
convive, toujours rassasié demanderait évidemment toujours le même mets,
auquel ne cesserait de le porter son désir ; aussi serait-il toujours
capable de prendre la nourriture qui, par sa nature, porterait
continuellement celui qu'elle nourrit vers elle en enflammant son désir.
Cette faculté que possède la nature intellectuelle, en recevant en elle la
vie, de se transformer en elle, selon sa nature transformable, de même que
l'air, recevant les rayons du soleil, se transforme en lumière. C'est
pourquoi l'entendement, du moment que sa nature permet une transformation
à l'intelligibilité, ne comprend pas que l'universel, l'incorruptible et
le permanent, parce que la vérité incorruptible est son objet, vers lequel
il est intellectuellement porté, vérité qu'il saisit, dans l'éternité et
dans la quiétude paisible, en Jésus-Christ.
Voilà l'Église triomphante, dans laquelle est notre
Dieu, dont le nom est béni dans tous les siècles ; où, par une suprême
union, Jésus-Christ, l'homme véritable est uni à Dieu le fils par une
union telle, que son humanité ne se maintient que dans sa divinité. Cette
union hypostatique ineffable est telle, que, bien que subsiste la vérité
de la nature humaine, l'union ne peut être portée à un plus haut degré de
simplicité. Puis toute nature raisonnable, sans rien perdre de sa vérité
personnelle, s'unit à ce point au Christ, si elle s'est convertie à lui
dans cette vie avec toute la force de la foi, de l'espérance et de la
charité, que tous, anges ou hommes, n'existent plus que dans le Christ,
par l'intermédiaire duquel elle est attirée à Dieu par l'esprit et
absorbée en lui, qui est la vérité de chaque corps ; si bien que chacun
des bienheureux, tout en conservant la vérité de son propre être est
Christ en Jésus-Christ, et, par lui Dieu en Dieu, et que Dieu, tout en
restant le maximum absolu, est, en Jésus-Christ, Jésus lui-même et par lui
toutes choses en tout.
L'Église ne peut être plus une par aucun autre moyen.
Car l'église prononce l'unité de plusieurs, sans atteindre à la vérité
personnelle de chacun, et sans confusion de natures ou de degrés. Plus
l'église est une, plus elle est grande. L'église la plus grande est donc
l'église éternellement triomphante, parce qu'une plus grande unité de
l'église est impossible. Admirons donc ici cette union où l'on trouve
l'union divine du maximum absolu, l'union en Jésus de la déité et de
l'humanité et l'union de l'église triomphante dans la déité de Jésus, et
des bienheureux. Et l'union absolue n'est ni plus grande ni plus petite
que l'union des natures en Jésus ou des bienheureux dans leur patrie,
parce que l'union maxima est l'union de toutes les unions ; et cette
union, qui est toute union, n'est susceptible ni de plus ni de moins, et
procède de l'unité et de l'égalité, comme nous le montrons au premier
livre. Et l'union des natures dans le Christ n'est ni plus grande ni plus
petite que l'unité de l'église triomphante, parce que, étant l'union
maxima des natures, elle n'admet pas de plus ou de moins. Par suite,
toutes les choses opposées qui sont unies, tirent leur unité de l'union
maxima des natures dans le Christ, unité par laquelle l'union de l'église
est ce qu'elle est. L'unité de l'église est l'unité maxima de l'église.
C'est pourquoi cette unité, quand elle est maxima, coïncide avec l'unité
hypostatique des natures dans le Christ. Et cette union des natures en
Jésus, quand elle est maxima, coïncide avec l'unité absolue, qui est Dieu.
Et c'est ainsi que l'unité de l'église, qui est celle des choses qu'elle
suppose, bien qu'elle n'apparaisse pas à ce point une, comme l'unité
hypostatique, qui n'est que l'union des natures, ou comme ce qui est
parfaitement simple et divin, où il ne peut y avoir ni altérité ni
diversité, l'unité de l'église se résoud cependant grâce à Jésus dans
l'unité divine, d'où elle tire son commencement. La chose s'éclairera
certainement, si l'on se reporte à ce que nous répétons plus haut. Car
l'unité absolue est le Saint-Esprit. Et l'unité maxima hypostatique
coïncide avec l'unité absolue ; parce que l'unité des natures dans le
Christ existe nécessairement par l'unité absolue, qui est le Saint-Esprit,
et en elle. D'autre part l'unité de l'église coïncide avec l'unité
hypostatique, comme il est dit précédemment ; parce que c'est dans
l'esprit de Jésus qu'est l'unité de l'église triomphante, qui consiste
dans le Saint-Esprit. Ainsi que le dit la parole de vérité dans saint Jean
: « Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée afin qu'ils soient un,
comme nous sommes un, moi en eux, et toi en moi, afin qu'ils soient
parfaits dans l'unité. » Afin que l'église soit dans un éternel repos,
parfaite au point de ne pouvoir être plus parfaite, dans une
transformation si inexprimable de la gloire humaine, que rien en toutes
choses ne soit visible, sinon Dieu. Gloire à laquelle nous aspirons, dans
la certitude du triomphe, d'une âme ardente, priant Dieu le père d'un cœur
suppliant, qu'il veuille bien, par son Fils, notre Seigneur Jésus-Christ,
et en lui, par le Saint-Esprit, nous en gratifier dans son immense bonté,
pour jouir éternellement de celui qui est béni dans tous les siècles.
Ainsi soit-il.
Reçois aujourd'hui, vénérable Père, ce que, depuis
longtemps, j'ai désiré atteindre par les voies de diverses doctrines ;
mais auparavant je l'avais fait sans résultat ; puis, à mon retour de
Grèce, sur mer, sans doute par un don du père des lumières, de qui vient
tout don excellent, j'ai été amené à embrasser les choses
incompréhensibles d'une façon incompréhensible dans la docte ignorance, en
dépassant ce que les hommes peuvent savoir des vérités incorruptibles.
C'est elle que, en celui qui est la vérité, j'ai dégagée par ces livres
que l'on peut serrer de plus près ou développer encore d'après le même
principe. Mais, dans sa profondeur, tout l'effort de notre esprit humain
doit se porter là, afin de s'élever à cette simplicité où coïncident les
contradictoires : c'est dans cette intention que j'ai conçu mon livre
premier. Le livre second tire de ces prémices, au-dessus de la voie
commune des philosophes, quelques considérations sur l'univers, peu
banales pour beaucoup de gens. Et maintenant j'ai terminé mon livre
troisième sur Jésus béni au-dessus de tout, progressant toujours à partir
de la même base, et le Seigneur Jésus a grandi continuellement dans mon
intelligence et dans mon amour, grâce à l'augmentation de ma foi. En
effet, nul homme qui ait la foi du Christ ne peut refuser d'être plus
profondément enflammé de désir dans cette voie, de telle façon qu'après
avoir longuement médité, après s'être élevé souvent, il voie que, seul, le
très doux Jésus est digne qu'on l'aime, il abandonne tout avec joie, et
l'embrasse comme étant la véritable vie et la joie éternelle. Devant celui
qui entre ainsi en Jésus tout cède ; il n'est d'écriture, il n'est rien au
monde qui puisse lui faire quelque difficulté ; car celui-là est
transformé en Jésus, parce qu'il a en lui l'esprit du Christ qui est la
fin des désirs intellectuels ; prie-le assidûment d'un cœur suppliant, ô
Père très pieux, pour le misérable pécheur que je suis, afin que nous
méritions de jouir de lui ensemble, dans l'éternité.