Archimède
(287-212 av.J.C.)
La version connue des oeuvres d'Archimède, à l'époque du Cusain, était la
traduction de Guillaume de Moerbeke. Mais il n'est pas du tout certain que
N. de Cues l'ait lue ; il semble plutôt en avoir eu une connaissance de
seconde main. Les travaux de l'historien Marshall Clagett - Archimedes in the
Middle Ages - sur la réception d'Archimède au Moyen Âge sont très
éclairants. Selon lui, N. de Cues n'a pas lu directement Archimède dans la traduction de Moerbeke, mais dans le traité de Jean de Murs (Johannes
de Muris), De Arte mensurandi.
Tout autant que les propositions, c'est la
technique démonstrative d'Archimède qui marque l'esprit de N. de Cues ; il
utilise sans cesse le raisonnement apagogique sous la forme du double
encadrement : " si ce n'est ni plus petit ni plus grand, alors c'est égal
". Mais, il se trompe en identifiant ce raisonnement avec son principe de
coïncidence des opposés.
La première référence implicite à Archimède se trouve dans De
Transmutationibus geometricis (troisième prémisse). Il s'agit du problème des
deux moyennes proportionnelles, traité par Eutocius dans son commentaire du De
la sphère et du cylindre d'Archimède. La seconde référence implicite se
trouve au chapitre II, du De Transmutationibus geometricis : elle correspond à
la première proposition de La mesure du cercle. La troisième référence, au
chapitre III, concerne la conversion d'une colonne en cube : N. de Cues
s'appuie sur la première proposition de La mesure du cercle qui pose
l'égalité entre un cercle donné et un triangle rectangle par le moyen d'une
proportion simple entre les côtés de l'angle droit. Dans ce chapitre, on
détecte une erreur de compréhension des formules d'Archimède sur le volume de
la sphère qui trahit la fragilité de la culture mathématique de N.
de Cues, formée, semble-t-il, par la fréquentation de résumés
fragmentaires.
On trouve la première référence explicite à Archimède dans le De
Mathematicis Arithmeticis de 1450 : il s'agit de la proposition 3 de La mesure
du cercle que N. de Cues a pu trouver, là encore, dans le De Arte
mensurandi de Jean de Murs, mais avec l'encadrement plus grossier répandu à
l'époque alors que la traduction de Moerbeke présentait l'encadrement exact
d'Archimède (chapitre 8, proposition 1). A la fin de ce passage, Jean de Murs
invitait à chercher un encadrement plus précis de Pi. Peut-être est-ce sur
cette indication que N. de Cues a eu l'idée de se lancer dans son
entreprise mathématique.
La seconde référence explicite se trouve dans la seconde quadrature de 1450,
De Quadratura circuli : il s'agit d'une critique de la rectification de la
spirale qui ne peut provenir de la lecture directe de l'oeuvre d'Archimède Des
spirales, car l'exposé de N. de Cues est incorrect et injuste. N.
de Cues répètera deux fois sa critique de la construction archimédienne
de la spirale.
En 1450 selon Hofmann, ou en 1453 selon Clagett, N. de Cues prend
connaissance de la nouvelle traduction d'Archimède par Jacob de Crémone ; il
découvre dans la méthode indirecte par encadrement d'Archimède un analogue
mathématique de sa coïncidence des opposés. On trouve à partir de ce moment
des traces très nettes de cette nouvelle lecture, et ce, dès le De
Mathematicis complementis.
Archimède est manifestement beaucoup plus présent à l'esprit de N. de Cues
qu'Euclide. Ce dernier semble plutôt faire partie d'un fonds commun. Archimède
paraît être le modèle, à la fois le grand homme qu'on admire et celui qu'il
s'agit de dépasser.
JEAN
DE MURS, De Arte mensurandi, in M. Clagett, Archimedes in the Middle
Ages,
Philadelphie, The American philosophical society, Independance square, 1980,
Vol. III, t. I, Part. I., pp. 11-43.