Heimeric de Campo (1395-1460)

Nicolas de Cues a rencontré Heimeric de Campo à l’université de Cologne en 1425, alors qu’il y enseignait les idées d’Albert le Grand, d’abord comme professeur de philosophie, puis de théologie. On trouve chez nos deux auteurs une utilisation symbolique des figures géométriques. Que faut-il entendre par géométrie symbolique ? Si l’on suit les occurrences du mot symbolice dans l’oeuvre de Nicolas de Cues, on peut dire qu’il s’agit d’une exploration des vérités spirituelles par le moyen d’une image empruntée à la géométrie.

Heimeric de Campo s’appuie sur une figure symbolique qu’il appelle le sigillum eternitatis qu’on trouve au troisième paragraphe du Tractatus de sigillo eternitatis de 1433. Nicolas de Cues a certainement eu connaissance de ce symbole, mais celui-ci l’a-t-il influencé dans ses travaux mathématiques ?

On sait qu’Heimeric de Campo possédait les oeuvres du Cusain. Il croit reconnaître lui-même sa propre influence en lisant le De Mathematicis Complementis. On trouve dans son Centheologicon des notes et des allusions assez évidentes sur les recherches de son élève et ami. Il rapporte explicitement le problème de la quadrature du cercle à ses propres spéculations sur le cercle, le triangle et le polygone. Mais, de ce qu’Heimeric de Campo croit reconnaître sa propre influence dans les textes du Cusain, doit-on inférer que celui-ci a effectivement orienté ses recherches en fonction du symbole du Sigille ?

A côté du Tractatus de sigillo eternitatis, on peut relever également l’éventuelle influence de l’Ars demonstrativa (vers 1429-1432) qui expose le principe de la démonstration par l’impossible : (...) la démonstration par soi et directe d’une vérité exposée positivement, serait simplement plus pauvre à engendrer la science que la démonstration par l’impossible qui révèle la vérité indirectement par la négation du faux ; cependant la démonstration par l’impossible est plus évidente et plus efficace pour nous, qui, selon l’exigence de notre point de départ, tendons par la négation à l’affirmation, en connaissant plutôt “ce qui n’est pas” que “ce qui est”. Nicolas de Cues utilise sans cesse ce type de démonstration par l’impossible, mais il faut préciser qu’elle s’impose vraiment dans ses textes mathématiques après 1453, c’est-à-dire après que le Cusain a reçu et lu la nouvelle traduction d’Archimède par Jacob de Crémone.  

Le rôle d’Heimeric de Campo paraît assez secondaire. Il semble que le Cusain soit moins influencé par les idées de son ami des Pays-Bas que par une tradition plus ancienne et plus globale de la géométrie symbolique. On peut en conclure que le rôle d’Heimeric de Campo, dans ce domaine, a surtout été celui d’un intermédiaire de Lulle à Nicolas de Cues, mais il reste à étudier d’autres domaines comme celui de la théologie mystique.

Heymericus de Campo, Opera Selecta, I, Freiburg, Universitätsverlag, 2001.