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JEAN KEPLER (1571-1630)
Jean Kepler avait une profonde admiration pour N. de Cues. On trouve le mot Divinus mihi Cusanus, au chapitre II de son oeuvre de jeunesse, le Mysterium Cosmographicum :
Le Cusain et d'autres philosophes me semblent tout simplement divins pour la simple raison qu'ils ont fait très grand cas de la relation droit-courbe et qu'ils ont osé comparer le Courbe à Dieu et le Droit aux créatures.
Duhem qualifie même N. de Cues de précurseur de Kepler, jugement sur lequel Koyré se montre des plus réticents. Néanmoins, Koyré estime que Kepler s'est appuyé sur le principe de continuité de N. de Cues pour opérer un passage à la limite, pour passer d'un polygone régulier d'un nombre infini de côtés au cercle.
Cependant, en lisant de plus près les références de Kepler à N. de Cues, il semble qu'elles soient de seconde main : Képler cite les idées de N. de Cues à travers ce que
G. Bruno en a dit dans ses oeuvres. Il semble qu'il n'ait même pas lu le
De Docta Ignorantia. La présence d'expressions communes comme liber naturae et
digitus Dei ne suffisent pas à établir une lecture directe de N. de Cues par
Kepler. Ainsi, la prétendue assimilation du courbe à Dieu et du droit aux créatures n'est pas si évidente quand on relit les textes. Chez
N. de Cues, c'est plutôt le droit qui est assimilé à Dieu. Plus profondément, il semble que la parenté entre N. de Cues et Kepler réside dans une commune recherche de rapports proportionnels entre les objets du monde, recherche inspirée par le pythagorisme et l'esprit néoplatonicien. Cette recherche apparaît clairement dans les travaux mathématiques de N. de Cues, mais elle n'aboutit pas parce qu'il cherche une proportion simple entre lignes droites et lignes courbes. Chez
Kepler, les spéculations sur l'harmonie du monde évoluent. Comme le montre Koyré dans son enseignement de 1960-1961, Kepler a compris que Dieu n'était pas seulement géomètre, mais aussi musicien, ce qui veut dire qu'il ne suffisait pas de chercher les rapports entre planètes dans des polyèdres, mais qu'il fallait les chercher dans des rapports harmoniques, à savoir entre les vitesses angulaires des mouvements des planètes, vus à partir du Soleil. Cette correction l'a conduit à concevoir des orbites non plus circulaires mais
élliptiques. S'il a lu les textes mathématiques de N. de Cues, Kepler a peut-être tiré la leçon de son échec; peut-être cette leçon l'a-t-il aidé à surmonter ses propres difficultés.
Kepler, J., Le secret du
monde, trad. Alain Segonds, Paris, Belles Lettres, 1984, p. 48.
Kepler, J.,
Mysterium Cosmograficum, in Gesammelte Werke, München, C.H. Beck'sche
Verlag, 1938, vol. I., p. 23.
Kepler, J., Narratio de
Observatis, in Gesammelte Werke, München, C.H. Beck'sche Verlag, 1941, vol. IV, p. 317.
Kepler, J., Dissertatio cum nuncio
sidereo, in Gesammelte Werke, München, C.H. Beck'sche Verlag, 1941, vol. IV, p. 289.
DUHEM, P., Etudes sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus, ceux qui l'ont
lu, Paris, Hermann, 1909, p. 107.
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