Jean Wenck (? - 1460)

 

On ne peut bien apprécier ce qu'a apporté N. de Cues sans évoquer la réaction hostile de la scolastique en la personne de Jean WENCK de Herrenberg, professeur de théologie à l'université de Heidelberg. Au-delà des reproches d'hérésie, parce que N. de Cues aurait aboli la différence entre Dieu et le monde et aurait rabaissé l'événement de l'Incarnation, le fond de la polémique lancée par Wenck dans le De Ignota Litteratura porte sur les catégories de la pensée aristotélicienne. En effet, par sa coïncidence des opposés, N. de Cues remet complètement en cause la distinction des genres et des espèces ainsi que le principe de non-contradiction. Il sape les principes du savoir rationnel tel qu'il était défini par la tradition scolastique. Kurt Flasch voit dans l'entreprise de N. de Cues une attaque radicale de l'aristotélisme : Il voulait montrer que les présupposés essentiels du système aristotélicien (l'exclusion de l'individuel et de l'infini) dépendaient d'une auto-détermination de la raison, mais ne venaient pas de la réalité même.  Il semble que c'est prêter à N. de Cues une vision très moderne et une intention de critique radicale qu'il n'avait peut-être pas aussi clairement à l'esprit. Mais, même si les protagonistes n'avaient pas une conscience lucide de cet enjeu, il n'en reste pas moins vrai que les formules de N. de Cues, sa nouvelle logique, son effort pour dépasser le principe de non-contradiction avaient de quoi effrayer ses contemporains. La quadrature du cercle n'est pas seulement un beau problème de géométrie. C'est aussi un défi porté contre la distinction des genres et des espèces. Qu'une circonférence de cercle infini devienne une droite ou qu'un polygone régulier d'un nombre infini de côtés devienne un cercle, cela ressemble à un engendrement contre nature, à une transgression de la barrière des espèces. La polémique avec Wenck nous fait mesurer l'importance de l'oeuvre de N. de Cues : elle vaut pour la rupture qu'elle opère avec la pensée dominante au Moyen Âge.

FLASCH, Kurt, Introduction à la philosophie médiévale, trad. J. de Bourgknecht, Paris, Cerf, 1992, chap.13, pp. 208-224.
VANSTEENBERGHE, Edmond, " Autour de la docte ignorance, une controverse sur la théologie mystique au XVème s. ", in Beiträge für die Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters, Münster, 1915, XIV, 2-4, réimpression dans Spiritualität heute und gestern, vol. 17, New-York, Edwin Mellen Press, 1992.