Altérité (alteritas)

La question de l’altérité apparaît lorsque l’on se demande comment l’un peut engendrer le multiple, ou comment le même peut engendrer l’autre. On peut distinguer deux sens de l’altérité : au sens de l’alterium, elle désigne une dualité ou une opposition entre deux choses ; c’est une différence de degré en quantité ou en qualité seulement, différence accidentelle qui permet de les distinguer dans un acte de connaissance ; au sens de l’aliud, l’altérité (ou aliété) désigne une altérité essentielle entre au moins trois choses, ce qui engage une différence spécifique entre elles. Chez Nicolas de Cues, l’altérité prend le pas sur l’aliété et comporte une connotation négative ; elle est l’opposé de l’unité. Chez Boèce, elle est ce par quoi le monde créé se développe dans sa diversité et sa multiplicité, mais pour le Cusain, « l’altérité n’est pas un principe d’être » ; elle n’a pas d’être en soi. L’altérité est précédée par l’unité ; elle est la multiplicité contingente des créatures. « Tu saisis d’une certaine façon comment les essences des choses sont incorruptibles comme l’est l’unité d’où vient le nombre, qui est entité, et comment les choses sont telles et telles à partir de l’altérité, laquelle n’appartient pas à l’essence du nombre, mais suit de manière contingente la multiplication de l’unité. » L’altérité n’est pas une cause, mais un effet ; elle est la conséquence de la limitation des êtres créés ; elle désigne la condition des êtres finis, tous différents, tous autres. De fait, l’altérité est un obstacle à la connaissance de la vérité en soi ; la vérité est une identité absolue, une adéquation de soi à soi connue de Dieu seul. Les hommes, eux, ne peuvent que s’en approcher ; ils éprouvent sans cesse cet écart dans les conjectures.

De coniecturis, §§. 78, 161 à 168

De docta ignorantia, §. 19

De visione dei, §. 58

De mente, §. 96

Sfez, Jocelyne, L’Art des conjectures de Nicolas de Cues, Beauchesne, 2012, p. 156-169