CONJECTURE (conjectura)

Nicolas de Cues a mis au point une technique de pensée pour avancer vers la vérité et qu’il appelle l’art des conjectures. C’est un mouvement de l’esprit qui jette ensemble (conjicio) des idées afin d’avancer dans la compréhension d’un problème. On peut penser la conjecture sur le modèle du filet lancé devant lui par le pécheur, ou sur la pratique de la chasse à la battue qui avance pour saisir le gibier.

Dans le De conjecturis, la conjecture est le principe d’une méthode générale d’investigation du réel. Elle s’oppose à la certitude parce qu’elle porte sur le multiple, et elle s’oppose à la connaissance directe parce qu’elle procède par des médiations, des signes. Par la conjecture, l’esprit humain s’assimile aux objets de la connaissance en produisant des notions analogues. Cela veut dire que la connaissance d’un objet nous rend semblables à cet objet ; plus exactement, la pensée humaine, par assimilation, ressemble à la pensée divine, sans l’égaler cependant. Plus il approfondit sa connaissance, plus l’esprit humain s’approche de l’objet sans jamais atteindre la précision absolue. L’esprit cherche à connaître par des proportions continues.

La conjecture ne désigne pas seulement une hypothèse hasardée, compte tenu d'un certain nombre d'indices ou de connaissances déjà établies, pour expliquer l'ordre des choses. Les conjectures sont des efforts successifs et nécessairement imparfaits de la pensée humaine pour mesurer les choses. Chaque œuvre de N. de Cues est une conjecture au sens où chaque texte est un approfondissement des conjectures essayées jusqu'alors.

Se pose alors le problème de l'achèvement du savoir. Si la connaissance humaine se réduit à des conjectures (cela ne signifiant pas qu'elle soit seulement composée d'hypothèses incertaines), alors elle est une œuvre à jamais inachevée, toujours en quête d'une exactitude inaccessible.

Le Cusain donne cette définition : « Une conjecture est donc une assertion positive qui participe dans l’altérité à la vérité, telle qu’en elle-même. » (De coniecturis, §. 57) La conjecture énonce la vérité sans atteindre la précision absolue. La précision (praecisio) n’est atteinte que marquée par l’altérité et n’est toujours qu’une approximation de l'exactitude, de la vérité absolue connue de Dieu seul. Elle participe à la vérité absolue, mais n’est pas la vérité absolue puisque, justement, elle n’est qu’une participation. Il subsiste toujours une altérité.


De coniecturis. §§. 21, 25, 39, 48, 57, 61, 64, 88, 89, 95, 117, 130, 148
De mente, §§. 64, 65