PENSéE (mens)

En 1450, Nicolas de Cues écrit le dialogue intitulé De idiota, dont le troisième livre s’intitule De mente. Alors que M. de Gandillac a choisi de traduire mens par la « pensée », J-M. Counet et H. Pasqua ont choisi de traduire mens par « l’esprit », ce qui est très discutable. En effet, Nicolas de Cues entend spiritus en deux significations bien précises : d’une part, il s’agit de l’esprit humain (spiritus noster) par opposition à l’esprit divin, au Saint Esprit : d’autre part, il s’agit du souffle vital, de l’esprit qui circule dans les artères et qui stimule l’âme pour saisir les informations sensibles ; c’est l’instrument des sens ; l’esprit est un moteur qui rend compte, notamment, du fonctionnement de la volonté. Le Cusain énonce une définition précise : « nous appelons esprit tout ce qui se meut dans le vent et dans toutes les autres choses », et il emploie les deux mots mens et spiritus en des sens bien séparés : mens pour les opérations intellectuelles et spiritus pour l’esprit de vie. Il lui arrive de les employer dans la même phrase ; au chapitre VII, §. 100 du De mente, il écrit : « In illis omnibus locis vehitur in spiritu arteriarum mens nostra » qu’il faut donc traduire par : « Notre pensée est transportée dans tous ces lieux par l’esprit des artères » ; la « pensée » désigne une activité toujours en marche, tendue vers la compréhension. Le De mente nous décrit ses diverses opérations dans sa quête de connaissances.

N. de Cues utilise deux métaphores pour parler de la pensée : la cire et le miroir. Comme la cire malléable, la pensée se conforme à la chose perçue et s'en donne la forme. Il ne s'agit pas seulement d'une impression passive et d'une forme reçue par les sens, car la pensée peut concevoir les formes telles qu'elles sont en elles-mêmes (comme par exemple le cercle en soi), formes qui ne sauraient exister dans la matière. N. de Cues a pu lire cette métaphore chez Proclus : la pensée est une tablette de cire qui s'écrit elle-même. Comme le miroir, la pensée reflète Dieu. La pensée est image de Dieu. Mais elle est en même temps une vision. C'est un miroir vivant qui se contemple lui-même. Au moment où la pensée se contemple elle-même, elle se donne les notions des choses. Cette réflexion est le moment où, de miroir passif, la pensée devient miroir actif et se donne les formes.

Quelles sont les différentes facultés de la pensée ? La pensée, reflet de la trinité divine, est elle-même trinitaire : sens, raison et intelligence. L'homme est formé d'une sensibilité et d'un intellect, unis par une raison qui leur sert d'intermédiaire. Dans l'ordre des choses, la sensibilité est subordonnée à la raison, qui est à son tour subordonnée à l'intellect. Chaque faculté inférieure fournit ses données à la faculté supérieure qui les ordonne en retour, y discerne les formes, y juge du vrai et du faux. La métaphore de la lecture est assez claire : les yeux lisent les lettres, la raison compose les mots et donne les phrases, l'intelligence comprend le texte et donne le sens. La faculté supérieure éclaire le travail de la faculté inférieure. Cette conception de l'intelligence est nécessitée par la dualité de l'homme. L'intelligence humaine n'est ni angélique, ni divine. Elle a besoin du corps pour être étonnée et stimulée par les sens, mais elle ne dépend pas du corps pour son fonctionnement propre.

De mente, en entier

Complementum theologicum, §§. 2, 11

De venatione sapientiae, §§. 82 à 84

De ludo globi, §§. 44 à 46, 80